Ce livre a pour objet de comprendre et d'expliquer le processus par lequel s'est constitué historiquement un quasi-monopole de l'énonciation de l'opinion publique par les sondages d'opinion dans les démocraties occidentales. La question est donc la suivante : comment en est-on venu à accepter l'équivalence entre opinion publique et résultats des sondages ?
Un tel résultat n'avait rien d'inéluctable alors qu'aujourd'hui l'assimilation entre l'opinion publique et les résultats des sondages parait admise. Cette métamorphose de l'opinion ne s'est pas tout de suite imposée comme telle. C'est dans la capacité des premiers sondeurs à rendre leur instrument légitime au regard des systèmes de justification très différents.
Une révolution dans les manières de concevoir et d'étudier l'opinion publique se serait produite, tout d'abord aux États-Unis en 1935, puis en un laps de temps un peu plus long pour les autres pays occidentaux. Selon le politiste américain Paul Cantrell, l'apparition des sondages aurait réussi à transformer la notion d'opinion publique de « concept ambigu » en « construit mesurable ».
Mais les controverses n'ont pas disparu et la notion reste toujours difficile à appréhender même si les résultats des sondages aujourd'hui jouissent d'un statut privilégié. C'est de ce fait que la marge de manœuvre des porte-paroles traditionnels de l'opinion s'est singulièrement rétrécie.
[...] Son apparition presque fortuite s'inscrit cependant dans une tradition plus ancienne, celle des études de marché. L'inventeur des sondages, Gallup, était surtout connu pour être l'inventeur d'une technique de mesure des pratiques de lecture de la presse, décrite dans sa thèse en 1928 : elle repose sur une rationalisation de la connaissance des audiences et des marchés. À partir de là, Gallup va réussir à incarner la pratique nouvelle des sondages d'opinion et l'outillage mental des pères fondateurs du sondage va procéder essentiellement de l'univers du marketing. [...]
[...] Cette démarche propose donc de disqualifier les faux prophètes du peuple. Les sondages constitueraient selon ces dires la meilleure parade à la prolifération des médias de masse, à la mutation des systèmes politiques qui se profile. Les sondeurs s'opposent donc également aux prétentions des groupes de pression. L'entreprise de légitimation de l'instrument s'assimile donc à une entreprise de moralisation de la vie politique. Gallup entend en effet réintroduire le peuple en des lieux où il ne figurait jusqu'alors que par procuration. [...]
[...] Dans sa première réalité, l'opinion publique se définit comme l'ensemble des idées et des jugements partagés par un groupe social ou une partie de ce dernier. Cependant, dans la littérature ou les arts on considère la plupart du temps que l'opinion publique n'est en réalité qu'un organe de censure et de contrôle des comportements privés. Elle ne fait que juger et dénoncer[2]. On emploie donc ce terme de manière péjorative. Aux alentours de 1750 cette notion évolue et va servir à désigner toute critique populaire du gouvernement royal, c'est ce qu'on va appeler le développement d'une politique de contestation, le début d'une opposition qui va se cristalliser notamment autour des refus des sacrements et le traumatisme qu'elle provoque dans la population parisienne. [...]
[...] Ainsi, l'ambivalence fondamentale des sociologues français à l'égard de la sociologie américaine est souvent condamnée en bloc. L'obsession du court terme, le niveau individuel de l'analyse, la pratique sans discernement de la quantification : tels sont les principaux reproches pour la plupart inspirés des considérations politiques qui sont adressés aux sciences sociales américaines. Mais cependant les choses vont évoluer après la guerre. Tout d'abord, un espace de dialogue et de collaboration entre sondeurs et universitaires va s'ouvrir et tout se passe comme si la science politique cherchait sa voie en direction du modèle élaboré naguère par Stoezel. [...]
[...] Cette métamorphose de l'opinion ne s'est pas tout de suite imposée comme telle. C'est dans la capacité des premiers sondeurs à rendre leur instrument légitime au regard des systèmes de justification très différents. Une révolution dans les manières de concevoir et d'étudier l'opinion publique se serait produite, tout d'abord aux Etats-Unis en 1935, puis en un laps de temps un peu plus long pour les autres pays occidentaux. Selon le politiste américain Paul Cantrell, l'apparition des sondages aurait réussi à transformer la notion d'opinion publique de concept ambigu en construit mesurable Mais les controverses n'ont pas disparu et la notion reste toujours difficile à appréhender[1] même si les résultats des sondages aujourd'hui jouissent d'un statut privilégié. [...]
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