La figure de Marianne est apparue en plusieurs étapes, après la Révolution française. On a d'abord constaté l'apparition d'une figure féminine représentant la Liberté, et coiffée le plus souvent d'un bonnet phrygien, symbole des esclaves affranchis dans l'ancienne Rome. D'un autre côté, dans les régions de langue occitane du sud de la France, est apparu le personnage de Marianne, qui désignait la Républiqu. Au cours des années suivantes, les deux figures ont fini par se rassembler en une seule : Marianne, personnage féminin, coiffé d'un bonnet phrygien, incarnant la Liberté. C'est par la volonté des républicains que ce personnage représentant la Liberté est devenu celui représentant la République.
Le processus d'acceptation et de généralisation de Marianne comme symbole de la République intervient au début des années 1880, lorsque celle-ci s'installe durablement. Marianne a changé depuis sa naissance, dans les années 1790 : elle n'est plus la guerrière au bonnet rouge teinté du sang des combats pour la République. Elle a tendance au contraire à être représentée comme une matrone, plus âgée, plus sage, plus maternelle. C'est à ce moment-là que les adversaires de la République vont s'emparer de Marianne pour critiquer le régime. Désormais, la lutte et le combat sont de leur côté. Ils vont assimiler l'incarnation de la République dans Marianne, et reprendre son personnage pour servir leurs critiques.
Il est donc intéressant de se pencher sur les formes que va prendre Marianne dans le discours anti-républicain des premières années de la IIIe République.
[...] Avant cela, les socialistes français souhaitaient l'avènement de la République. Cette histoire commune conduit les socialistes et l'extrême gauche à utiliser Marianne non pas seulement pour critiquer la République en place, mais aussi pour promouvoir leur vision du régime idéal. Le bonnet phrygien notamment fait autant partie de leurs référents que de ceux des républicains, parce que les Communards le portaient par exemple. Il va donc être repris pour coiffer la Marianne socialiste. Comme on l'a vu, la Marianne bourgeoise est laide, vieille, obèse : la Marianne rouge, elle, est jeune et belle, et a souvent la poitrine dénudée. [...]
[...] On voit donc clairement que, tout comme dans le discours officiel, Marianne sert à incarner la République. Mais au lieu de la parer de ses qualités, le discours antirépublicain met l'accent sur ses défauts : tout d'abord, elle est souvent très laide, contrairement à la Marianne officielle, magnifiée et embellie, mais on lui ajoute aussi de nombreux détails qui permettent de rentrer dans le détail de la critique et des reproches. En outre, certaines critiques se retrouvent à droite comme à gauche, et soulignent les défauts du régime qui mèneront d'ailleurs à sa faillite un demi-siècle plus tard, comme sa tendance aux scandales ou aux mensonges, ainsi que sa propension à l'instabilité. [...]
[...] La période 1880- 1914 est d'ailleurs la dernière où le combat républicains / antirépublicains a encore vraiment du sens, puisqu'après la Première Guerre mondiale, le régime est véritablement installé et accepté par tous, de la droite à la gauche. Même les ligues, dans l'entre-deux-guerres, feront plus preuve d'antiparlementarisme que d'une vraie volonté de détruire la République, tandis que l'extrême gauche ira même jusqu'à prendre part à un gouvernement, en ne concentrant plus ses critiques que sur la direction de la politique que sur la forme gouvernementale qu'elle prend. [...]
[...] Ils vont assimiler l'incarnation de la République dans Marianne, et reprendre son personnage pour servir leurs critiques. Outre la stabilisation de la République comme régime, un autre facteur va faciliter l'apparition du discours antirépublicain : en 1881, la IIIe République autorise la liberté de presse. Les journaux s'ouvrent alors à tous les courants et à toutes les idées, y compris à ses propres critiques. Les images de Marianne vont alors foisonner, bien loin du sens qui lui avait d'abord été donné par les républicains. [...]
[...] On voit apparaître très clairement ici le reproche principal adressé à la IIIe République par le socialisme. La seconde version de Marianne met davantage l'accent sur un autre défaut de la République : elle est représentée en cuisinière ou en servante. Cela montre d'abord, comme précédemment, que la République est désormais au service des bourgeois, mais aussi qu'elle est une habituée des cuisines électorales et autres affaires qui ternissent son image. En effet, Marianne est très souvent accusée de mentir et de tricher, et les références aux affaires, telles que le scandale de Panama, sont monnaies courantes dans les journaux. [...]
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