Suite au référendum français du 29 mai 2005 sur la question du traité établissant une Constitution pour l'Europe, la direction générale Presse et Communication de la Commission Européenne a souhaité mener une enquête post-électorale, afin de « mieux comprendre les raison de l'abstention, les motivations des électeurs, les effets perçus de la Constitution et les scénarios possibles suite à ce que certains ont appelé un séisme politique ». Cette enquête paraît particulièrement fiable car la Sofres, l'institut de sondage commandité pour proposer cet Eurobaromètre, s'appuie ici sur un échantillonnage téléphonique très important, de l'ordre de 2015 personnes interrogées.
Il semble tout d'abord pertinent d'effectuer un rappel du processus qui a amené ce projet de traité pour une Constitution européenne devant le peuple français. En décembre 2001, le Conseil européen de Laeken a lancé la Convention sur l'Avenir de l'Europe, présidée par Valéry Giscard d'Estaing, dans le but de s'atteler à la tâche ambitieuse de rédiger la première Constitution européenne de l'histoire. Le projet de Constitution proposé vise à l'amélioration de l'efficacité des institutions européennes dans une Union européenne élargie et à la création « d'une approche communautaire claire, ouverte, efficace et contrôlée démocratiquement » afin de rendre l'Union européenne plus transparente et compréhensible pour tous les citoyens européens.
Le texte final du projet de traité constitutionnel élaboré par la Convention, qui est présenté au Conseil européen de Thessalonique le 20 juin 2003, après seize mois d'intenses négociations et de consensus, est accueilli et décrit par les dirigeants de l'Union européenne comme une excellent base pour la Constitution. Il est vrai que la rédaction de ce texte constitue un des plus grands moments démocratiques de l'histoire du monde. Celui-ci est soumis pour approbation finale à la conférence intergouvernementale de Rome ouverte en octobre 2003, sans que les dernières divergences puissent être gommées. Finalement, courant 2004, les différents responsables des Etats membres apposent leur signature au bas du traité constitutionnel. Il reste cependant au traité constitutionnel à être ratifié par les peuples, ce qui passe soit par un vote des Parlements nationaux, comme en Allemagne, ou par un référendum national, à l'image de celui qui a eu lieu le 29 mai 2005 en France.
Avant d'analyser plus en profondeur les résultats de ce dossier Eurobaromètre il faut bien se souvenir qu'au début de la campagne il y avait un quasi consensus autour du «oui» au référendum, «oui» qui a d'ailleurs démarré à 63 % dans les sondages. Pour cette raison le Président de la République a sans doute vu dans la tenue de ce référendum une occasion de redresser sa légitimité quelque peu contestée. Le référendum devait donc être une formalité. Ce fut en fait une empoignade nationale, pleine de coups de théâtre, de « coups de gueules » et de coups de poignard. Bien plus qu'une controverse institutionnelle : un débat de société brassant toutes les passions et les peurs françaises. Tandis que les politiques se déchiraient, s'invectivaient, les électeurs se sont emparés du traité. Certains l'ont lu, décortiqué, la majorité ont hésité longtemps, changé d'avis trois fois si l'on en croit les sondages. Et ils ont tranché : le «non» l'a emporté avec 54,7 % des suffrages exprimés.
Quelles sont alors les variables lourdes, les dynamiques comportementales, les clivages les plus pertinents qui peuvent expliquer ce vote ? Puis-je, à l'aide de trois ou quatre clivages sociologiques, stigmatiser un comportement électoral en particulier capable de nous éclairer sur la véritable signification du vote du 29 mai ? Quelle est la réalité de la coupure annoncée entre une « France d'en bas » coupée de ses élites ? Peut-on parler pour ce scrutin d'un « vote des villes » et « d'un vote des champs » ? Quid du clivage gauche/droite, est-il transcendé par le clivage européen ou constitue-t-il au contraire un facteur clivant à part entière ? Les facteurs explicatifs du vote sont-ils plus d'ordre politique ou d'ordre social ? Autant de questions auxquelles je tenterai de répondre à partir de ce dossier post-électoral Flash Eurobaromètre, dans le but de dresser les lignes directrices de ce vote.
[...] Il s'agit d'analyser le vote des chômeurs et des ouvriers, qui sont a priori les classes sociales les moins favorisées, pour savoir s'il faut infirmer ou donner raison à cette affirmation. Prenons tout d'abord les réponses à la question des motivations du non des ouvriers ayant voté non l'ont fait car selon eux cela aura des effets négatifs sur la situation de l'emploi en France, provoquera des délocalisations à l'étranger et des pertes d'emplois, contre pour les indépendants. De même des chômeurs ayant voté non l'ont fait car ils pensent que la situation économique en France est trop mauvaise et qu'il y a trop de chômage, contre des indépendants. [...]
[...] Je serais tenté de regrouper ces abstentionnistes sous le terme utilisé par Michel Jaffré et Anne Muxel, à savoir les abstentionnistes dans le jeu Ces personnes constituent un nouveau type d'abstentionnisme, elles peuvent être informées du jeu politique et possèdent des connaissances politiques. On pourrait à la limite parler ici d'abstention intelligente, consciente d'elle-même. À l'inverse des abstentionnistes sondés se disent non intéressés par la politique en général, et se disent non intéressés par les affaires européennes. Les premiers sont selon moi hors du clivage gauche/droite car leur réponse sous-tend de fait un abstentionnisme hors du jeu politique. Quant eux second ils s'excluent du clivage politique centre/périphérie que j'ai déjà évoqué (clivage souverainisme/intégrationnisme), en refusant de prêter attention aux questions européennes. [...]
[...] Quant au troisième et dernier groupe de mon classement, il regroupe les sympathisants de partis placés habituellement aux extrêmes de l'échiquier politique français, le Parti Communiste et le Front National des électeurs proches du PC ont voté contre le projet de constitution, imités en cela mais pour des raisons extrêmement différentes par de leurs homologues du FN. On peut déjà noter que chaque famille politique possède un mode électoral propre, les identités partisanes lui ayant conféré au sympathisant un comportement électoral qui le singularise de la masse des autres Français. Mon impression première est-elle confirmée par l'étude des motivations du vote ? Il s'avère que pour le les électeurs du oui les motivations du vote sont au contraire très homogènes. [...]
[...] Voter non reviendrait de fait à désavouer le premier ministre, mais aussi et surtout le Président de la République, fortement impliqué sur cette question, et Nicolas Sarkozy principal recours et espoir d'une bonne partie du peuple de droite. Dans cette configuration, on comprend que le non de droite soit essentiellement porté par Philippe de Villiers, personnalité n'appartenant pas à l'UMP. On comprend également dans ce contexte que la dynamique du non se soit développée. Les sympathisants et militants de gauche peuvent ainsi dans un même mouvement s'opposer au libéralisme au plan européen et au plan intérieur, possibilité qui ne leur était pas offerte en 1992. [...]
[...] Mais les données du dossier Eurobaromètre ne nous permettent pas d'en conclure qu'il s'agit d'abstentionnistes hors du jeu partisan national. Nous pouvons aussi nous demander quel rôle ont joué les leaders des différentes factions des partis politiques au niveau de leur influence sur les électeurs. Il ne fait aucun doute que la question européenne est un sujet qui clive les partis en leur sein et qui, par là même, engendre des divisions à l'intérieur même des organisations partisanes. Les deux candidats du second tour de l'élection présidentielle 1995 sont en quelque sorte les leaders de la campagne pour le oui Tout d'abord Jacques Chirac à droite, parce qu'un référendum lancé par le Président a en quelque sorte valeur de jugement par l'opinion publique de son action personnelle. [...]
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