L'analyse des campagnes électorales au niveau local souligne depuis une trentaine d'années un certain nombre de faits stylisés comme par exemple la professionnalisation des campagnes (par un recours accru aux professionnels de la communication et à leur arsenal technique - sondages, affichages, réunions -) ou encore la standardisation du métier politique local et de ses pratiques. Ces grilles de lecture qui confortent la vision commune de « l'homme politique stratège » sous-estiment cependant ce que Frédéric Sawicki appelle les « logiques propres aux compétitions politiques locales » dans Le clientélisme dans les sociétés contemporaines (1998).
En effet, la compétition politique ne se limite pas à une communication formelle, elle met en jeu des rapports sociaux, caractérisés par de l'échange et des négociations. Même dans la Corse rurale décrite par Jean-Louis Briquet (La tradition en mouvement. Clientélisme et politique en Corse, 1997), la campagne électorale repose sur des relations contraignantes. Malgré l'éloignement par rapport aux références politiques traditionnelles, la société rurale corse, à l'aide de codes et de pratiques sociales propres à sa culture, l'ensemble des interactions à l'œuvre lors d'une campagne électorale.
Dans ces deux articles, l'accent est porté sur la construction par le candidat d'une présentation de soi conforme aux attentes des cibles de l'électorat et sur une présence dans de multiples réseaux d'interactions ou de configurations et de contraintes.
[...] La campagne électorale produit de l'interaction L'interaction est présente tant dans la campagne électorale de Dunkerque qu'en Corse rurale. C'est cependant dans ce dernier cas qu'elle s'exprime de la façon la plus affirmée. Le rapport en Corse rurale entre l'homme politique et l'électeur est conçu comme un devoir moral. L'échange électoral (une voix contre une réponse aux doléances de la famille) se base sur une obligation réciproque, voire un marchandage. Les échanges s'opèrent en particulier lors de réunions et de visites de l'homme politique auprès du chef de famille. [...]
[...] L'utilisation de ressources politiques ou sociales par le candidat en campagne électorale a un intérêt, certes, mais limité. Bien sûr la possibilité d'élargir ses ressources politiques et sociales procure un avantage dans une certaine mesure, comme c'est le cas pour Michel Delebarre, tandis que Prouvoyeur est prisonnier de ses soutiens traditionnels Intérêt limité, parce que l'appel à des soutiens implique une traduction de leurs attentes. Au niveau du candidat, il peut alors y avoir tension entre traduction et trahison d'intérêts multiples et même parfois divergents. [...]
[...] Ces stratégies de mobilisation se basent sur l'idée qu'« une personne pense politiquement comme elle est socialement, les caractéristiques sociales déterminant les préférences politiques reprenant en partie les études des sociologues Siegfried ou Lazarsfeld. Pour attirer le plus de voix possible, le candidat devra dans sa présentation de soi toucher le plus de sphères sociales de son électorat. L'exemple corse montre aussi que le candidat doit se plier aux us et coutumes sociaux en vigueur dans la société locale. On note par exemple en Corse que pour être accepté et reconnu, l'homme politique se conforme consciemment aux modes de sociabilité constitués en dehors du champ politique traditionnel. [...]
[...] En particulier à l'échelon local, il est pris dans un jeu qui l'oblige à donner une présentation de soi conforme aux attentes des électeurs avec lesquels il entre en relation. Qu'il repose sur des codes traditionnels de pratiques politiques ou sur des codes propres aux cultures régionales, ce jeu donne aux acteurs une image embellie de rapports clientélaires. Comme complément d'information concernant les municipales de Dunkerque, il faut savoir que Delebarre l'a emporté au second tour avec 116 voix d'avance seulement. Le Conseil d'Etat a cependant annulé son élection parce qu'un tract jugé diffamatoire pour le maire sortant Prouvoyeur avait été diffusé dans les dernières heures de la campagne. [...]
[...] L'exemple de la Corse rurale permet d'observer comment des relations clientélaires (relations de dépendance personnelle reposant sur un échange de ressources non équivalentes) sont justifiées par l'amitié et la reconnaissance réciproque propre aux clans et aux partitu Le partitu ne renvoie pas du tout à une réalité institutionnelle mais selon la définition de Briquet à : un ensemble relativement cohérent de réseaux d'amitiés, de fidélités, d'obligations réciproques et de services rendus, qui est structuré au niveau local et vécu positivement comme espace d'identité commun L'échange de services se fonde non pas, selon les dires mêmes des acteurs sur l'intérêt matériel, mais au contraire est présenté comme une conséquence de l'amitié. Il se produit en quelque sorte une mise en scène publique de relations privées matérielles et intéressées. La campagne est finalement un jeu conjoncturel. D'une part, elle n'actualise que momentanément des liens sociaux et d'autre part, les candidats ne peuvent jamais s'identifier totalement aux préoccupations de l'électorat. [...]
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