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« Tel est l'effet fondamental de l'enquête d'opinion : constituer l'idée qu'il existe une opinion publique unanime, donc légitimer une politique ». (Pierre Bourdieu). Les sondages d'opinion sur les personnalités publiques donnent aujourd'hui le rythme sur la scène politique. De la côte de popularité des membres du gouvernement à celle des candidats potentiels à la primaire socialiste, en passant par les résultats de l'élection présidentielle si les sondés « devaient voter aujourd'hui parmi ces candidats », pas une semaine ne passe sans qu'une enquête d'opinion ne vienne animer le débat publique. Utilisés comme arguments incontestables par les hommes politiques qu'ils servent ou au contraire contestés par ceux qu'ils desservent, les sondages font aujourd'hui partie du paysage politique et médiatique ; pourtant, y compris parmi les contestataires, rares sont ceux qui interrogent les méthodes d'enquête au-delà des sempiternelles questions du « panel représentatif » et de la méthode des quotas. Dans son exposé sur les enquêtes d'opinion effectué en 1972 à Arras, repris et publié en 1973 dans Les temps modernes, Pierre Bourdieu s'interroge sur les postulats qui sur lesquels s'appuient les instituts de sondages ; ce faisant, il démontre la complexité de la notion même d'opinion. En effet, si elle semble ne jamais faire débat dans le paysage politique, c'est pourtant bien cette notion d'opinion publique qu'il nous faudrait en réalité interroger. En prenant pour point de départ la citation de Pierre Bourdieu, nous nous demanderons quelles sont les limites intrinsèques des enquêtes d'opinion dans leur mission auto-conférée : donner un aperçu de l'opinion publique sur un sujet d'intérêt publique. Pour répondre à cette question, nous étudierons dans un premier temps l'idée, soulevée par Bourdieu, de la légitimation des politiques, en nous penchant sur l'identité des commanditaires et des réalisateurs de sondages et en tentant d'analyser les intérêts propres de chacun d'entre eux. Ceci posé, nous nous interrogerons ensuite sur les limites des postulats sur lesquels les instituts de sondages s'appuient pour légitimer le bien-fondé de leurs enquêtes. Enfin, ayant questionné les outils de mesure de l'opinion publique, nous creuserons la notion même afin d'en mettre à jour les paradoxes.
[...] Il avait pour sa part tranché sur la question. Négativement. [...]
[...] Le premier concerne la compétence, entendue comme capacité à comprendre comme telle une question politique et donc à répondre sur le champ politique, et qui est selon lui peu ou prou relative au niveau d'instruction des individus interrogés ; le second est basé sur l'éthos des individus, à comprendre dans son sens sociologique comme l'ensemble des mœurs et des principes éthiques et moraux intériorisés, conscients ou inconscients. Dès lors que cette distinction est posée, la notion d'opinion individuelle est ébranlée puisque tous les individus n'ont pas la compétence nécessaire à comprendre une question politique comme telle. [...]
[...] En considérant cette question, il semble impossible de mesurer par un pourcentage l'adhésion de l'opinion publique à un projet politique qu'un sondage semble pourtant pouvoir légitimer sur la scène publique. La valeur accordée à une enquête d'opinion sur le plan politique pour légitimer une action se trouve par conséquent être l'interprétation erronée de l'avis de la part de la population ayant répondu aux questions sur une base éthique et non sur une base politique. D'autre part, dire que 60% des Français ont répondu favorablement à un projet d'action publique dans un sondage n'équivaut pas à dire que l'opinion publique est favorable au projet : cela supposerait qu'il existe un sujet pensant supérieur qui équivaudrait au peuple français et qui serait capable d'avoir une opinion tout en étant divisé sur celle- ci. [...]
[...] Lorsque les médias passent commande pour une enquête d'opinion à un institut spécialisé, les enjeux sont a priori doubles. Le premier peut être d'appuyer un argument ou une démonstration : si nous reprenons la question sur la suppression de la police de proximité et que ce sondage a été demandé par Marianne, il devient évident que les résultats vont servir à appuyer une critique faite contre le gouvernement. Le second intérêt pour les médias est de créer un débat public qui provoque mécaniquement une augmentation des ventes mettons de côté l'idée qu'il s'agit d'une volonté vertueuse d'animer le débat démocratique ; en cela, les sondages participent également de techniques publicitaires, pour les journaux notamment, surtout lorsqu'il s'agit de sondages exclusifs A ce titre, par exemple, les récentes enquêtes d'opinion plaçant Marine le Pen au second tour de l'élection présidentielle quel que soit le candidat du Parti Socialiste, à l'exception de Dominique Strauss Khan, ont été critiqués, notamment par Jean-Luc Mélenchon qui y voyait une construction médiatique (le sondage en question prenant en compte les divisions de la gauche sans prendre en compte les divisions de la droite et du centre et ayant été réalisé peu après l'élection de Marine le Pen à la tête du Front National). [...]
[...] Après le sondage très polémique réalisé par Harris Interactive et plaçant Marine le Pen au second tour de l'élection présidentielle de 2012 (Harris Interactive promettait une somme de 7000€ pour une personne tirée au sort parmi le panel ayant répondu), le PS a demandé à ce que les méthodes de sondages soient rendues plus transparentes, critiquant le fait que l'incitation financière proposée par l'institut de sondage avait attiré un électorat populaire, traditionnellement conservateur, permettant ainsi à Harris Interactive de se faire de la publicité à bon compte sur une question politique. La solution pour éviter que ces conflits d'intérêts n'interviennent pourrait être une cogestion des instituts de sondage par chacun des acteurs susceptibles de voir leur situation publique se modifier après une enquête d'opinion ; c'est notamment le cas pour Médiamétrie, codétenu par plusieurs chaînes de télévision, de radio, et plusieurs groupes publicitaires. Parce qu'elles impliquent de nombreux intérêts politiques, médiatiques et financiers, les enquêtes d'opinion sont souvent la cible de critiques sur la méthode de leur réalisation. [...]
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