L'univers économique décrit par Keynes est profondément différent de l'univers économique néoclassique. Cette différence provient, comme l'indiquent Arrow et Hahn en 1971, de la nature temporelle de l'univers keynésien : "la révolution keynésienne ne peut être comprise si l'on ne prend pas entièrement en compte la puissante influence qu'exercent le passé et le futur sur le présent. ( ...) Keynes avait certainement raison lorsqu'il affirmait que les preuves théoriques issues de modèles dont ces problèmes étaient exclus n'étaient pas recevables"
Keynes accorde en effet une importance capitale au fait que les décisions économiques prennent place dans une forme de temporalité « pratique », de nature irréversible, qui comprend de la nouveauté et donc de l'incertitude. Il existe une réflexion microéconomique "de l'incertitude" dont les fondements sont exposés dans le "Treatise on Probability". Cet ouvrage philosophique vise en effet à donner un fondement logique au jugement de probabilité, même et surtout lorsqu'il ne prend pas la forme d'un calcul.
Keynes désigne en effet par "probabilité" toute la connaissance que l'on n'obtient pas directement, mais indirectement, c'est-à-dire par raisonnement logique. Son "Treatise vise à définir les critères inductifs et déductifs permettant de qualifier de rationnelle une décision fondée sur des connaissances partielles. Il expose donc une véritable théorie générale du comportement rationnel plutôt qu'une stricte théorie des probabilités : "Le probable est ce qu'il est rationnel de croire au regard des connaissances que nous avons".
Pour cette raison, l'univers économique qu'étudie Keynes ne peut pas être décrit comme un système idéal régi par des lois. L'analyse de la coordination prend dans l'analyse keynésienne un sens tout à fait différent de celui que lui donne l'analyse walrassienne, fondée sur le principe du système marchand autorégulateur. Keynes cherche à comprendre dans quelle mesure, étant donné le mode de connaissance et d'action des agents, l'ensemble de leur action peut « faire système » et atteindre une certaine « efficience », c'est-à-dire, pour Keynes, assurer le plein emploi. Cette visée pratique pose d'emblée le problème de la règle, que l'on peut exprimer ainsi : « Quels repères collectifs sont nécessaires pour harmoniser des comportements d'agents rendus divergents par l'existence d'incertitude ? »
[...] Cela apparaît clairement dans l'analyse que propose Keynes du mécanisme de l'incitation à investir. On constate en effet que l'évaluation des actifs est au confluent de deux regards alternatifs qui s'expriment dans une organisation économique contingente. Cette description d'un conflit d'interprétation concret, limité à un système particulier, est aux antipodes d'une analyse constructiviste qui permettrait de formuler des lois définitives. Keynes montre au contraire que le fonctionnement de l'économie dépend des règles que l'on choisit. Il décrit un univers dans lequel le système ne préexiste pas à l'action concrète des individus, mais naît au contraire de cet enchevêtrement d'actions, qui produisent elles- mêmes des conventions. [...]
[...] C'est là tout l'intérêt du marché financier, qui permet une répartition du risque et, surtout, une superposition du long terme de l'investissement réel et du court terme qui caractérise la détention d'actions constamment cessibles. Toutefois, le marché livré à lui même faillit à sa tâche dans la mesure ou il ne juge plus de manière pertinente des différents projets d'investissement. De ce fait, les intuitions de l'entrepreneur peuvent être comme étouffées par la logique de court terme des marchés financiers. C'est en particulier le cas lors des crises. [...]
[...] Il affirme à cette occasion son opposition à la théorie benthamienne, et plus généralement au conséquentialisme, en raison précisément de la nature pratique du jugement de probabilité. Dans l'optique de Bentham, qui anticipe sur ce point les théories de Savage et l'ensemble des théories modernes fondées sur la maximisation de l'utilité espérée, la décision est prise mathématiquement, en pondérant l'utilité attachée à chacune des conséquences possibles d'un acte par les chances de réalisation des états du monde auxquelles ces conséquences sont conditionnées, puis en réalisant la somme des montants ainsi obtenus. Cette somme représente l'utilité espérée de cette décision. [...]
[...] Selon Keynes, il n'existe pas dans la société de support suffisant sur lequel asseoir un langage mathématique et une organisation mécanique. Le caractère fondamentalement incomplet de notre savoir, dont découle la nécessité de fonder nos actions sur des raisonnements probables, mine à la fois le conséquentialisme et le constructivisme. Ces deux conceptions, liées, de l'organisation de la société reposent en effet sur l'idée selon laquelle il est possible de relier de manière certaine une action à ses conséquences, sur la base d'un savoir certain. [...]
[...] ) Si la nature humaine n'avait pas le goût du risque, les seuls investissements suscités par un calcul froidement établi ne prendraient sans doute pas une grande extension (Keynes p. 165-166). À travers cette description enthousiaste de l'action intuitive de l'entrepreneur, Keynes renoue avec l'esprit du Treatise. L'entrepreneur ne calcule pas. Il agit sur la base d'une intuition fondée sur une connaissance réelle À rebours de ce que la science économique a finalement sanctifié comme individu rationnel c'est l'entrepreneur qui, pour Keynes, est finalement le plus raisonnable ! [...]
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