« L'imagination au pouvoir, tel était l'un des slogans utilisés au cours du mouvement étudiant de mai 68 en France. Le gouvernement ne pouvait se contenter de gérer la croissance, d'administrer la modernisation économique et sociale, il devrait aussi et avant tout produire ou formuler un rêve collectif, un avenir commun.
Ainsi si le gouvernement moderne est né du refus d'une conception patrimoniale dynastique du pouvoir et s'est appuyé sur une domination légale rationnelle ( Max Weber) désincarnée il se trouve sommé de monnayer du rêve : cette expression suppose un échange de débiteur à créancier ou d'acheteur à vendeur caractéristiques des droits dits de seconde génération, droits collectifs appelant l'intervention du gouvernement ( droits sociaux, droits du travail.)
Cependant, s'il peut être matériel ( rêve de prospérité, de richesse, de sécurité), le rêve a une dimension immatérielle qui rend sa définition, sa formulation et sa rémunération problématiques : qui peut le formuler, le gouvernement ou le peuple ? Si le premier s'en charge, contre quelle rétribution monnaie- t'il du rêve ? Il s'agit moins de monnayer un rêve, un projet politique social que du rêve, ce qui fait de ce dernier une marchandise à produire et à vendre. Dès lors, sa définition peut être changeante, circonstancielle et servir tous les buts du gouvernement, même les moins légitimes. Monnayer du rêve nécessite de mesurer, évaluer et peser ce rêve : si gouverner c'est aussi cela, il faut supposer qu'il a une autre fonction qui peut être de prévoir, de préserver la cohésion sociale ou la continuité de l'Etat. Il importe dès lors, d'être attentif aux possibles contradictions entre ces deux fonctions mais aussi d'identifier ce qui peut être du rêve, ce dernier paraissant évoluer entre le projet et l'utopie.
[...] De manière moins extrême, monnayer du rêve peut affaiblir la nature proprement politique du gouvernement. Si ce dernier monnaye du rêve, en quoi se distingue-t-il d'une entreprise faisant de la publicité pour séduire le consommateur ? Serait alors accréditée la métaphore de la démocratie comme innovation politique du marché ( A. Downs, Théorie économique de la démocratie) : le gouvernement ou les partis sont offreurs de biens tandis que les citoyens sont demandeurs et que le vote est le produit et non le moteur ou la source du pouvoir politique. [...]
[...] Dès lors, le gouvernement est conduit à produire du rêve afin de susciter une adhésion plus profonde aux politiques qu'il mène. Prospectif comme projet ou rétrospectif comme commémoration, le rêve peut-être matériel (promesse de bien-être, de confort, de richesse, de réduction des inégalités) ou immatériel (promesse de grandeur nationale).Il prend souvent la forme du slogan et permet de susciter une adhésion émotionnelle le discours de M.Luther King, fait un rêve représente ainsi un puissant moyen de mobilisation autour d'un objectif de non-discrimination entre noirs et blancs. [...]
[...] Suspect, il ne peut correspondre au désir simple des citoyens de sécurité immédiate, de réduction présente des inégalités, et masque le fait que l'on gouverne aussi par des réalisations concrètes qui peuvent créer des solidarités de fait. »(Ainsi que le souhaitait M. Schumann) . Il importe donc de faire du rêve un projet collectif réunissant gouvernants et gouvernés autour de valeurs communes. Une légitimité qui ne serait fondée que sur le monnayage du rêve serait instable et circonstancielle et nuirait aux politiques que le gouvernement entend mener. Soumis à l'épreuve des faits, le rêve peut provoquer un démenti cruel des projets gouvernementaux. [...]
[...] De manière idéologique, cette bureaucratie sera de plus en plus destinée à être une technocratie froide, calculatrice, et tatillonne, à rebours donc d'un monnayage et d'une production de rêve . Cette domination anonyme, neutre et désincarnée, risque de ne susciter qu'une adhésion formelle ( participation électorale, civisme élémentaire au mieux) de la part des citoyens. Les contestations étudiantes de la fin des années soixante se sont élevées contre un gouvernement ne faisant qu'administrer et favoriser la société de consommation sans idéal, sans projet, sans rêve. [...]
[...] De manière symptomatique, la démocratisation se distingue de la démocratie comme le rêve se distingue de la réalité ou comme l'avenir se distingue du présent : la démocratisation est un processus, le rêve d'une égalité sociale ou politique tandis que la démocratie est un état. De ce point de vue, le rêve est une construction permanente du gouvernement en interaction avec les aspirations des citoyens. Enfin la demande de rêve semble être aussi la demande d'une cité réconciliant le juste et le bon telle celle d'Aristote et marque la permanence d'une liberté de participation. [...]
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