Le 29 octobre 2004, après vingt huit mois de débats au sein de la convention sur l'avenir de l'Europe puis au sein d'une convention intergouvernementale, les Vingt-cinq signent à Bruxelles un nouveau traité sur l'Union Européenne : le Traité établissant une Constitution pour l'Europe (TCE). Deux raisons principales sont avancées pour justifier l'élaboration d'un nouveau traité, quatre ans seulement après celui de Nice en 2000 : tout d'abord, la nécessité d'améliorer le fonctionnement de l'UE afin de faire face à l'élargissement de 15 à 25 membres, et ensuite, la volonté de réunir dans un texte unique tous les différents traités concernant la construction européenne afin de les rendre plus accessibles et plus compréhensibles aux citoyens de l'Union. Cette Constitution européenne ne comporte pas moins de 448 articles, auxquels on doit ajouter 36 protocoles additionnels, deux annexes et un préambule où sont réaffirmés de façon assez lyrique les valeurs démocratiques et pacifiques de l'Europe ainsi que ses héritages culturels, religieux et humanistes et sa volonté de réaliser une union dans le respect de la diversité. Les 448 articles de cette Constitution sont repartis en 4 parties. La première partie (60 articles) définit les valeurs de l'Union, ses objectifs, ses compétences, ses institutions et son fonctionnement. On retrouve ensuite dans une deuxième partie, la charte des droits fondamentaux de l'Union adoptée à Nice en 2000, et dans une troisième partie un catalogue de 322 articles portant sur les politiques conduites par l'Union et sur son fonctionnement. La quatrième partie est quant à elle la plus courte (12 articles) et porte essentiellement sur les modalités de révision et d'application du traité. Sur ces quatre parties, seule la première apporte de véritables nouveautés par rapport aux traités antérieurs, les trois autres parties se contentant de compiler (à défaut de rendre plus lisible) ce qui existait plus ou moins déjà. Bien que portant le nom de Constitution, ce texte n'en reste pas moins juridiquement un traité international.
Comme pour les traités européens précédents, une procédure de ratification doit suivre la signature. Si le TCE est ratifié par tous les Etats signataires avant le 29 octobre 2006, il est prévu que le traité constitutionnel entre en vigueur le 1er novembre 2006 . Si un ou plusieurs membres ne le ratifient pas, il est simplement prévu que le Conseil Européen se saisisse de la question. Les premières ratifications commencent dès 2004 avec les ratifications parlementaires de la Lituanie, le 11 novembre, et de la Hongrie, le 20 décembre. Le 1er février 2005 c'est au tour du parlement slovène de ratifier la Constitution européenne.
La France doit elle aussi ratifier cette Constitution. Dès le 14 juillet 2004, alors que le texte final n'est pas encore signé, le Président de la République Jacques Chirac annonce l'organisation d'un référendum en 2005 pour que le peuple français ratifie directement le texte. La date finalement retenue pour cette consultation est le 29 mai 2005. La question posée est la suivante : « Approuvez vous le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe ? ». Les Français doivent y répondre par oui ou par non. Les résultats qui défilent sur les écrans de télévision le soir de ce 29 mai 2005 sont au final sans appel : avec 15 449 508 voix contre et seulement 12 808 270 voix pour, le texte est rejeté par 54,67 % des Français. Le 29 mai est ainsi le jour où le peuple français a dit non pour la première fois à un texte européen.
Ce non a beaucoup fait réagir, provoquant de multiples commentaires et amenant de multiples analyses parfois simplistes et réductrices, parfois beaucoup plus construites et argumentées. Il semble que la passion qui a animé la campagne se retrouve jusque dans les lectures que l'on peut avoir de ce non français. On se renvoie à la figure les explications : rejet populaire du libéralisme pour certains, victoire nationale contre la bureaucratie bruxelloise et l'européisme béat, ou prise en otage de l'Europe sur fond de crise politique pour d'autres. Si la victoire du non est claire, sa lecture nage quant à elle dans un brouillard que se plaisent d'ailleurs à créer et entretenir vainqueurs et vaincus d'un soir afin de tirer ce résultat à leur avantage. Il semble que beaucoup ne voient dans ce non que ce qu'ils souhaitent ou veulent bien y voir.
L'approche présentée dans ce mémoire consiste à analyser le non français. Pourquoi est ce que sur 41 789 202 électeurs français, 12 808 270 ont voté oui et 15 449 508 ont voté non ? Autrement dit, pourquoi certains électeurs ont voté et d'autres pas ? Pourquoi certains ont voté oui et d'autres non ? Pourquoi le non l'a emporté sur le oui ? Il s'agit ensuite d'étudier pourquoi la France est passée d'un oui à 51 % en 1992, lors du référendum de Maastricht, à un non à 54,7 % en 2005, soit une progression de 5,7 points. Ainsi notre étude comporte un aspect diachronique, puisque le vote au précédent référendum européen, celui sur le traité de Maastricht, est pris comme une référence par rapport à laquelle on étudie le vote de 2005.
Pour tester les hypothèses qui ont été formulées après le référendum et que nous allons recenser et analyser, il faut une méthodologie. En Science Politique, on peut pour analyser le comportement électoral, soit se baser sur l'analyse des résultats électoraux (géographie électorale), soit se baser sur les enquêtes d'opinion, soit encore se baser sur des entretiens non directifs pour comprendre les comportements. La plupart des analyses nationales du 29 mai 2005 se basent sur des enquêtes d'opinion, en négligeant assez souvent l'analyse des résultats électoraux en eux-mêmes. Or le vote, ce n'est pas une intention de vote, ou une déclaration de vote. La géographie électorale est le seul moyen de travailler sur les résultats électoraux effectifs, malgré le fait qu'il ne s'agisse que d'agrégats. Les sondages s'ils permettent d'accéder à l'individu ne sont pas basés sur les résultats : la théorie des grands nombres qui sert de base scientifique aux sondages s'applique au fait de tirer dans une jarre des boules noires ou rouges, pas au fait que l'on déclare que l'on a tiré d'une jarre des boules rouges ou noires : le refus de répondre ou le mensonge sont autant de biais qui empêchent d'appréhender par les enquêtes d'opinion la réalité du vote effectif. Les sondages présentent également le risque de prendre mal en compte l'influence des variables contextuelles du vote, notamment les variables explicatives exogènes .
Analyser un scrutin nécessite que l'on se penche tout d'abord sur son cadre. La première partie de ce mémoire aura ainsi pour objectif de resituer le scrutin dans son « environnement » électoral, politique, social, et économique. Cette étude de l'avant 29 mai s'organisera en trois temps. On se penchera tout d'abord sur les résultats et les enseignements des élections de 2004, avant de s'intéresser au positionnement des différentes forces politiques, à la campagne référendaire et au contexte politique économique et social au niveau national. L'analyse des résultats commencera quant à elle tout d'abord, par un retour sur les différentes analyses nationales du 29 mai, ce qui permettra de dégager un certain nombre d'hypothèses explicatives. Elle se poursuivra ensuite par l'étude en tant que telle des résultats, que ce soit la participation ou les résultats sur les suffrages exprimés. Enfin on essayera de confronter cette étude du référendum aux analyses nationales précédemment étudiées (hypothèses) afin de donner une lecture du non français.
[...] Cependant les nouvelles règles concernant la majorité qualifiée au sein du Conseil européen et du Conseil (article I-25) ne s'appliqueront qu'à compter du 1er novembre 2009, soit après l'élection du Parlement européen. La modification des règles de désignation des membres de la Commission ne devrait quant à elle pas intervenir avant 2014, c'est-à-dire à la fin du mandat de la première Commission désignée après la ratification du traité constitutionnel (article 26.5 et 6). Il s'agit là de la “fallace individualiste” : voir SCHEUCH, Erwin K. Social Context and individual behaviour, in DOGAN, Matteï, ROKKAN, Stein (eds). Quantitative Ecological Analysis in the Social Sciences. Cambridge (Mass.), MIT Press p.138. MARTIN, Pierre. [...]
[...] Uncorking the bottle : popular opposition to European unification in the wake of Maastricht. Journal of Common Marker Studies p.455-472. Egalement : FRANKLIN, M., VAN DER EIJK, C., MARCH, M. Referendums outcome and trust in government : public support for Europe in the wake of Maastricht. West European Politics p.101-117. [113] A partir de deux vagues d'enquêtes réalisées pour le CEVIPOF en fin de campagne intitulées référendum et enjeux européens [114] TIBERJ, Vincent. Les clivages sociologiques. op. [...]
[...] En effet l'émergence d'un pôle antilibéral indépendant et rassemblé à la gauche du PS dépendra beaucoup de la décision du PC de rompre avec le PS ou de rester un partenaire d'alternance. A gauche, enfin, ce référendum marque l'effacement quasi définitif de Jean Pierre Chevènement dont la voix a été inaudible dans une campagne qui lui était pourtant favorable d'un point de vue thématique, tandis que les Verts ont une nouvelle fois prouvé lors de ce référendum leur incapacité à émerger comme un parti généraliste véritablement crédible. [...]
[...] [115] Son analyse utilise les deux mêmes vagues d'enquêtes que Sylvain Brouard et Nicolas Sauger. [116] Ainsi des interviewés pensent que les hommes politiques se soucient des gens comme eux ; des employés et des ouvriers considèrent que la démocratie fonctionne mal (ces chiffres passent à pour les cadres et professions intellectuelles supérieures) TIBERJ, Vincent. Les clivages sociologiques. op. cit. [117] Les personnes qui se déclarent ni de gauche - ni de droite [118] PERRINEAU, Pascal. Le référendum français du 29 mai 2005, l'irrésistible nationalisation d'un vote européen. [...]
[...] En effet si seule la France avait dit non, on aurait pu du côté de Bruxelles mettre cela sur le dos de la tradition protestataire française, en chantant le refrain du de toutes façon ces Français ils sont jamais contents et en faisant référence aux précédents coups durs assénés par la France à la construction européenne (le revirement sur la CED, le crise de la chaise vide). Avec ce non néerlandais, cela devient beaucoup plus difficile de montrer uniquement du doigt les Français [159] Le 10 juillet 2005, les Luxembourgeois votent oui à avec une participation de (vote obligatoire au Luxembourg) [160] Il était d'ailleurs prévu, on le rappelle, que certaines dispositions comme les nouvelles règles concernant la majorité qualifiée au sein du Conseil européen et du Conseil (article I-25) ne s'appliqueraient qu'à compter du 1er novembre 2009. [...]
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