Cornelius Castoriadis a centré, tout au long de sa vie, ses réflexions sur la question de l'autonomie, portant sur l'institution globale de la société. Trois approches ont été privilégiées, celle de la philosophie, de la psychanalyse et celle de la politique. Parler de l'institution globale de la société implique, en effet, de prendre en considération toutes les sphères de l'existence sociale : la philosophie repère la portée de la signification individuelle et sociale de l'autonomie, la psychanalyse conçoit cette question comme un projet d'élucidation du sens des désirs humains et la politique intègre sa visée dans la sélection du régime le plus adéquat à son épanouissement, ce régime étant la démocratie.
Autonomie et démocratie sont deux mots d'origine grecque, dont les sens dégagent une polysémie: ici, " l'étymologie ne résout pas tous les problèmes de substance mais parfois aide à penser. " Dans le premier concept, nous avons la relation entre autos et nomos, et " c'est le terme de nomos qui donne tout son sens au terme et au projet d'autonomie. Être autonome, pour un individu ou une collectivité, ne signifie pas faire " ce que l'on désire " ou ce qui nous plaît sur l'instant, mais se donner ses propres lois. " C'est à cause de la présence du nomos que Castoriadis n'a jamais changé le terme d'autonomie. La question d'autonomie recouvre les problèmes de l'autoconstitution du social et de l'autocréation, mais ne se réduit pas à l'ensemble de ces termes. Castoriadis préfère ne pas employer le concept d'autopoièse à la place d'autonomie, parce qu'il entend justement insister sur le fait que la société est une autocréation humaine à travers la dimension fondamentale du nomos. Les hommes sont capables d'instituer des règles de vivre-ensemble, c'est même la première démarche sociale, puisque la société a besoin de se définir pour pouvoir exister. " Nomos : le mot, traduit d'ordinaire par " loi ", signifie à l'origine le partage, la loi du partage, donc l'institution, donc l'usage (les us et les coutumes), donc la convention et, à la limite, la pure et simple convention. ". Nous avons alors deux sanctions de cette cohérence sociale, d'une part les lois qui définissent un certain nombre de droits, d'autre part les mœurs qui régissent de manière implicite les comportements des sujets de cette société. Le terme de nomos ne se limite d'ailleurs pas à la pure dimension juridique, il est riche en ce qu'il recouvre toutes les conditions initiales et effectives de la socialisation. Dans la question de l'autonomie, il faudra veiller à ne pas s'éloigner de ce nomos qui définit les cadres de la société dans lesquels les individus peuvent évoluer. " Derrière cette idée du nomos, de la loi ou de la règle humaine, il faut entendre non pas, comme on le dit aujourd'hui, des " règles du jeu "- expression dérisoirement superficielle-, mais les lois et les règles qui nous rendent tout d'abord et radicalement capables de nous livrer, ou non, à des " jeux " et à autre chose[...]. Le nomos est notre institution imaginaire créatrice, moyennant laquelle nous nous faisons comme êtres humains. " 5 . Il faut entendre le concept de règles au sens fort, puisque ce sont ces règles qui déterminent le champ des possibilités de l'action humaine. Sans ces règles, nous ne sommes rien, car elles créent notre humanité, elles ont donc une portée ontologique. La question de l'autonomie est alors une question de création sociale, puisque les hommes, en définissant ces règles, définissent également la manière dont ils se représentent comme hommes : l'enjeu est bien la question ouverte de " l'autocréation " 6 de l'homme comme type anthropologique nouveau à travers ce nomos.
[...] La menace pèse sur le sens même de la politique, il faut bien trouver un système qui puisse éviter ce lobbying insidieux. Moses Finley rappelle que cela était l'un des dangers pressentis par Aristote concernant la démocratie. " Le danger inhérent à la démocratie, pour Aristote, c'était que le gouvernement par les pauvres dégénérât en gouvernement dans l'intérêt des pauvres. " Castoriadis souhaite que la paideia soit assurée de façon permanente, que ce soit dans des lieux formels construits à cette fin (l'école) ou dans des lieux informels (les tragédies antiques). [...]
[...] Il n'est pas non plus forcément amoindrissement des passions instituantes. L'intérêt public est toujours affirmé, et si l'exercice du pouvoir devient privé, alors nous tombons dans des régimes oligarchiques. La représentation impose une délégation des pouvoirs. Castoriadis condamne ce principe qui se contredit lors de sa mise en application. " Effacée, l'aliénation de la souveraineté de ceux qui délèguent aux délégués. Cette délégation est supposée être limitée dans le temps. Mais dès qu'elle est instaurée, tout est terminé. " La délégation est vue comme confiscation du pouvoir. [...]
[...] Il écrit à propos des élections qu'elles " constituent une résurrection impressionnante du mystère de l'Eucharistie et de la Présence réelle. Tous les quatre ou cinq ans, un dimanche (jeudi en Grande-Bretagne, où le dimanche est consacré à d'autres mystères), la volonté collective se liquéfie ou fluidifie, est recueillie goutte à goutte dans des vases sacrés/profanes appelés urnes, et le soir, moyennant quelques opérations supplémentaires, ce fluide, condensé cent mille fois, est transvasé dans l'esprit, désormais transsubstantié, de quelques centaines d'élus. [...]
[...] Ces associations sont beaucoup plus laborieuses et ont besoin d'un grand nombre d'adhérents, pour qu'elles aient une quelconque efficacité. L'homo democraticus dispose de moyens plus modestes, mais c'est en quelque sorte le prix d'une liberté de concours, il est capable de mobiliser des anciennes significations imaginaires pour les adapter à une démarche nouvelle. Le principe de solidarité était une donnée naturelle chez les peuples aristocratiques, alors qu'elle devient une donnée artificielle à créer chez les peuples démocratiques. Castoriadis se situe dans cette optique, parce que le régime démocratique est le seul régime social où l'idée de création est entre les mains des hommes. [...]
[...] Sven STELLING-MICHAUD, éditions Allia, Paris -BOURDIEU Pierre, Choses dites, éditions de Minuit, Paris -BUSINO Giovanni, Les théories de la bureaucratie, Que sais-je Paris -CLASTRES Pierre, Recherches d'anthropologie politique, éditions du Seuil, Paris -CONSTANT Benjamin, De la force du gouvernement actuel de la France et de la nécessité de s'y rallier, éditions Flammarion, Préface et notes de Philippe RAYNAUD, Paris -CROZIER Michel, Le phénomène bureaucratique, éditions du Seuil, Paris -CROZIER Michel, La société bloquée, éditions du Seuil, Paris -DELEUZE Gilles et GUATTARI Félix, Capitalisme et Schizophrénie, éditions de Minuit, Paris -DERRIDA Jacques, L'autre cap, éditions de Minuit, Paris -DUMONT Louis, Essais sur l'individualisme, Une perspective anthropologique sur l'idéologie moderne, éditions du Seuil, Paris, novembre 1983. -DUPUY Jean-Pierre (Ouv. [...]
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