De nos jours, la notion de raison d'Etat a pour contenu principal une décision ou une action du pouvoir politique qui déroge au droit commun. Or, cette signification n'était pas, ni au XVIe ni au XVIIe siècle, ni la première ni la plus importante. Rappelons alors que l'unique fondement de la légitimité de la démocratie se trouve placé dans la souveraineté du peuple, quelles que soient les modalités selon lesquelles cette souveraineté est représentée. On pourrait donc avoir tendance à considérer la raison d'Etat comme constitutive des formes politiques autoritaires, tyranniques ou totalitaires selon les cas, précisément par ce que le pouvoir n'a pas de compte à rendre à la population.
On perçoit par conséquent le côté « obscur » de la raison d'Etat, puisque l'hétéronomie entre gouvernants et volonté présupposée du peuple persiste. Toutefois, cette obscurité ne devrait plus avoir de raison d'être en démocratie. Cela n'est cependant pas si simple car la raison d'Etat n'est pas étrangère à ce type de régime. S'agit-il alors de la survivance d'un archaïsme, du résultat d'un moment ponctuel de crise, ou de la présence dans la démocratie d'un élément constitutif du pouvoir politique comme tel ? S'agit-il d'un élément transitoire ou permanent du pouvoir ? Peut-on déterminer ce qu'est la raison d'Etat par sa seule pratique ? Ou devons-nous nous limiter au concept ?
[...] Cependant, la justification de l'Etat d'exception pose un problème majeur tout comme la raison d'Etat : la menace des libertés individuelles. Dans notre démocratie libérale, le législateur tout comme l'administration sont supposés être mués par la défense du bien public et la sauvegarde des biens individuels en toute circonstance c'est ainsi que depuis le XXe siècle notamment, que des mesures sont prises pour encadrer les pratiques de l'Etat d'exception, car les autorités publiques étaient à plusieurs reprises allées à l'encontre de certains intérêts privés nuisant aux individus (domaine de la bioéthique par exemple). [...]
[...] D'une part, la raison d'Etat en elle-même déroge au principe démocratique. Car, outre qu'elle transgresse la loi, très souvent elle reste secrète. Ainsi, l'Etat ne rend pas compte au peuple de son action, alors qu'il le lui doit puisqu'il a été institué par ce même peuple. D'autre part, si les serviteurs élus de l'Etat deviennent les maîtres de l'Etat et se servent de lui comme d'un instrument à leurs fins propres, il y a alors violation du souhait du peuple et de l'intérêt du peuple, donc une violation de la démocratie. [...]
[...] Étant donné que l'Etat ne se situe pas au- dessus des lois, la raison d'Etat ne peut donc pas servir à légitimer des actions contraires aux lois. Il est difficile pour les citoyens d'imaginer une entité qui fait fi des lois sans être inquiétée. Harrington aura pour sa part la formule suivante : Le peuple, ayant senti la différence entre un gouvernement par les lois et un gouvernement par les armes, désirera toujours le gouvernement par les lois et abhorrera celui des armes Par ceci, il entend que le corps social se maintiendra d'autant mieux que le gouvernement respectera les lois et fera régner la justice, plutôt que s'il abuse des armes et de la raison d'Etat. [...]
[...] Yves-Charles Zarka, dans son texte intitulé Peut-on se débarrasser de la raison d'Etat, adopte toutefois un point de vue beaucoup plus nuancé. Il démontre, par exemple, que la persistance de la raison d'Etat ne provient pas uniquement de crises de la démocratie mais aussi de crises dans la démocratie Il évoque ainsi l'urgence de la conjoncture pour décrire des situations où les problèmes sont tels que la règle générale du droit ne peut suffire. L'essentiel n'est pas pour lui le respect scrupuleux de la légalité, mais bien la préservation du bien commun la raison d'Etat restant vue comme une notion favorable à l'intérêt général de l'Etat et non le moyen d'imposer arbitrairement certaines mesures. [...]
[...] En définitive, le fait de dire par l'usage de la raison d'Etat que la nécessité fait loi c'est dire que ceux qui jugent de la nécessité peuvent faire fi de l'Etat de droit et donc remettre en question ce qu'il protège : entre autres, la sureté personnelle. Les individus ne pouvant plus faire confiance à l'Etat, ce dernier aura échoué dans sa mission de stabilisation interne du pays pour se renforcer. Des entraves aux droits de l'Homme. La raison d'Etat apparaît comme la figure d'un pouvoir sans entrave et irrespectueux des droits de l'Homme. [...]
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