"On se mit à participer [aux cérémonies nazies] ; d'abord par crainte. Puis, s'étant mis à participer, on ne voulut plus que cela fût par crainte, motivation vile et méprisable. Si bien qu'on adopta après coup l'état d'esprit convenable. C'est là le schéma mental de la victoire de la révolution nationale-socialiste ».
HAFFNER- Histoire d'un Allemand, Souvenirs, 1914-1933, I, 20.
Ce titre, que l'on pourrait qualifier de provocateur, mérite d'être précisé. Le propos n'est pas ici de prétendre qu'il y aurait des dictatures paradisiaques sous lesquelles des hommes aspireraient à vivre. A notre connaissance, hormis les dictateurs eux-mêmes, ce désir ne peut concerner, en tant que tel, qu'une frange marginale des hommes-citoyens.
Toutefois, on peut constater que nombre de peuples ont vécu pendant de longues périodes, ou vivent encore sous des régimes autoritaires. De la Chine à l'Ouganda, de la Corée du Nord à Cuba, ou par le passé et plus près de nous l'Allemagne et l'Italie, la dictature prospère ou a prospéré.
Se pourrait-il donc que les hommes, sans y avoir consciemment aspiré, aiment vivre en dictature ?
Mais alors, pourquoi ?
Associé à la dictature, l'amour nous renvoie non seulement à la conception classique d'un fort attachement et de dévouement, mais bien au-delà, à l'admiration, la crainte du pouvoir, le désespoir, le fanatisme, la fierté nationale, la haine, la honte, l'idéalisme, la déception, l'inquiétude, la peur, la popularité, le respect, la servilité, la terreur, la cruauté, la violence, la soumission, l'absence de rébellion, la nostalgie…
L'interrogation s'étend alors : pourquoi des hommes s'attachent-ils à des tyrans ? Pourquoi se résignent-ils ? Pourquoi ne se soulèvent-ils pas ? Pourquoi laissent-ils la tyrannie naître et subsister ?
Tenter préalablement de définir la dictature, en apprécier les différentes formes permet de tracer les contours de la réponse à de tels questionnements et, par suite, de comprendre de déconcertants comportements.
[...] Le fanatisme participe de la concession que l'on fait de vivre en dictature. Les grands fanatiques de l'histoire ont assurément montré de fortes prédispositions personnelles à la rigidité psychologique. Hitler était pathologiquement antisémite tandis que Pol Pot, au Cambodge, était révulsé par tout ce qui rappelait le capitalisme. Pourtant, le contexte idéologique et politique contribue de façon décisive à enflammer le fanatisme. Dans les temps de profonde crise morale, la peur et l'humiliation, la violence d'Etat ou celle de la rue, la recherche éperdue de boucs émissaires, exacerbent de redoutables crispations. [...]
[...] Si beaucoup de dictateurs arrivent au pouvoir à la suite d'un coup d'état (en Amérique du Sud et en Afrique, notamment) ou d'une guerre civile (Francisco Franco), il arrive qu'un dirigeant d'abord élu démocratiquement se transforme en dictateur (c'est le cas d'Adolf Hitler) Identification des grands types de dictature La diversité des régimes autoritaires ne s'oppose pas à des classifications autour de clivages qui, d'ailleurs, se recoupent et se combinent. On peut déjà identifier les régimes civils et militaires. Très fréquemment, le pouvoir est entre les mains de l'armée. La situation a été ou est courante en Amérique du Sud ou en Afrique. On la rencontre aussi dans le monde arabe (l'Algérie par le passé) et en Asie (Birmanie). [...]
[...] Mais le vrai problème de la philosophie politique moderne par rapport à ces régimes dictatoriaux n'est pas le fondement du pouvoir, ni la nature de la souveraineté ; c'est celui de l'obéissance, de la soumission à ces dictatures, et leur motivation Pourquoi "l'amour" de la dictature ? : les contours de la réponse jusqu'aux confins de la philosophie politique et de la psychanalyse Pourquoi les hommes "aiment"-ils la dictature ? On constate parfois que le dictateur prend le pouvoir dans la violence avec ce qu'elle implique en termes d'instabilités, de guerre et de sous- développement. [...]
[...] Les dominants se sentent fondés à mépriser ceux sur qui ils établissent leur férule et les dominés se croient protégés en multipliant les marques extérieures de servilité. La soumission fondée sur la peur favorise l'abjection. Mais la soumission peut s'inscrire dans toute autre logique émotionnelle : l'abandon de soi, délibéré et satisfait à la volonté d'un autre. La tentation de la "remise de soi" est forte chez les citoyens qui doutent de leur capacité à formuler clairement leurs aspirations et, surtout, à identifier les meilleurs moyens de les satisfaire. [...]
[...] De la servitude volontaire L'explication de la servitude volontaire par La Boétie : "Comment il se peut que tant d'hommes, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois tout d'un tyran seul, qui n'a de puissance que celle qu'on lui donne, qui n'a pouvoir de leur nuire, qu'autant qu'ils veulent bien l'endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal, s'ils s'aimaient mieux tout souffrir de lui, que de le contredire (La Boétie, Le Discours de la servitude volontaire, 1576). Pour comprendre les intentions qui conduisent Étienne de la Boétie à écrire le "Discours de la Servitude Volontaire ou le Contr'un", il faut remonter au drame qui a lieu vers 1548. En 1539, François I er , roi de France, tente d'unifier la gabelle. Il impose des greniers à sel près de la frontière espagnole, dans les régions qui en sont dépourvues. En réaction de cette tentative, des soulèvements ont lieu. [...]
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