Forces et formes de la symbolique frontiste, analyse de l'imaginaire nationaliste contemporain

Résumé du document

Le Front National, né en 1972 de la volonté de Jean-Marie Le Pen de fédérer l'extrême droite groupusculaire de l'époque, a aujourd'hui 36 ans. En état de grâce le 21 avril 2002 avec l'accession de son leader au second tour, il semble à l'heure actuelle en passe d'aborder la crise de la quarantaine. Les dernières élections présidentielles ont en effet fait reculer le parti frontiste d'environ un million de voix, et l'avenir de ce mouvement politique apparaît flou entre une possible guerre fratricide succédant à la sortie de scène de Jean-Marie Le Pen et la nécessaire adaptation du discours nationaliste (Jean-Claude Martinez parle d'un alternationalisme) à l'intérieur du village mondial.

C'est en tous les cas à partir de la communication qu'une analyse sérieuse du Front National doit être réalisée, communication qui peut prendre des formes diverses, du classique meeting électoral jusqu'à la web télévision du site internet du FN, en passant par les affiches, tracts, etc. L'analyse de la « langue » frontiste, car il s'agit bien « à travers la production et la circulation des mots-clés [de] l'organisation sous-jacente d'une quasi-langue – d'une langue politique », ne doit pas prendre la forme d'une lexicologie. Tout d'abord car ce travail a déjà été largement réalisé, notamment grâce à l'ouvrage de Maryse Souchard, Le Pen, les mots, et d'autre part parce qu'il ne permet pas de saisir la portée symbolique du discours du Front National. Les mots de la langue frontiste sont souvent des symboles, c'est ce qui la caractérise au regard des autres langages politiques.
Des études s'intéressant aux symboles utilisés par le Front National existent également, mais elles se concentrent souvent sur les symboles historiques – Jeanne d'Arc, Clovis, etc. – qui ont évidemment une importance capitale mais ne peuvent révéler en eux-mêmes le système de la langue frontiste. Il s'agit à l'heure actuelle de savoir comment l'ensemble des symboles utilisés par le Front National parvient à former une langue, voire un mythe contemporain.

Notre travail se distingue en cela des différents travaux de sociologie politique réalisés sur le mouvement de Jean-Marie Le Pen mais il souhaite cependant en tirer des enseignements. L'analyse d'un éventuel mythe frontiste rejoint effectivement les travaux plus traditionnels sur le FN, car le mythe possède une double fonction, explicative et mobilisatrice. L'histoire des hommes et des idées contient par exemple des éléments fondamentaux pour la compréhension de la langue frontiste, elle doit en quelque sorte tenir lieu de genèse du discours. Les analyses électorales sur les différents pourcentages accordés au Front National révèlent quant à elles la force de la langue frontiste lorsqu'il s'agit de faire percevoir à certains électeurs un monde qu'ils ne connaissent pas ou peu.

Extraits

[...] Il arrive également que les moqueries de Jean-Marie Le Pen concernent plusieurs candidats à la fois, laissant bien par là signifier que seule sa candidature est vraiment sérieuse. Les candidats du système marchent, voire dansent ensemble : Ces deux là finalement s'enlacent dans une sorte de tango ! Numéro bien huilé du toi à où tour à tour, chacun incarne Guignol et le gendarme. »145 Voici une allégorie qui évoque une danse sensuelle entre deux marionnettes. On retrouve ce que nous évoquions déjà dans notre première partie, à savoir la tendance qu'a JeanMarie Le Pen à réduire ses adversaires à leur simple rôle, fonction. [...]

[...] Cit., p Ibid., Troisième partie, pp.185- propreté morale et physique ; il s'oppose ainsi à la décadence entraînée par la libération sexuelle et l'immigration, qu'il serait bon d' assainir A l'inverse de l'homme d'ordre, l'homme de violence ne se définit pas par des critères idéologiques mais affectifs. Il est caractérisé par le ressentiment, c'est un anti Il dit je plutôt que nous il a une démarche identitaire personnelle plutôt que politique. Mais l'identité se rattache tout de même au groupe, à savoir le FN, qui est déjà une fin en soi pour l'homme de violence, alors qu'il n'est que la base d'un dessein politique pour l'homme d'ordre. [...]

[...] La bataille avec le parti des forces nouvelles Le PFN naît en 1974, suite à une première scission du Front National. Il va regrouper une part importante de l'extrême-droite activiste universitaire telle que le Groupe Union Défense (GUD) et le mouvement Occident. Sur un point de vue strictement idéologique il ne se différencie par réellement du FN, c'est sur le plan de la tactique politicienne que les deux formations vont adopter des stratégies diamétralement opposées : le PFN privilégie l'ouverture avec la droite traditionnelle, choisissant de soutenir Valéry Giscard d'Estaing en 1974 (et participant même à son service d'ordre), alors que le FN préfère avancer seul25, au risque d'ailleurs de recueillir des scores électoraux minuscules. [...]

[...] »193 En faisant allusion à ces moments historiques le leader frontiste lance un appel à l'unité tout comme il désigne un modèle : l'unité est possible puisqu'elle a déjà été par le passé. Les Ernst BLOCH, Héritage de ce temps, p.95 Jean-Marie LE PEN, Discours du Bourget novembre Jean-Marie LE PEN, Discours de Nice avril électeurs, ces ombres peuvent être, c'est en s'inspirant des idéaux du passé qu'ils pourront accéder à leur réalité. Jeanne d'Arc, le plus grand homme de l'histoire demeure évidemment l'allégorie parfaite, calque impeccable de la situation du FN et de ses sympathisants, puisqu' elle n'échappera même pas à des techniques qu'on pourrait croire de notre temps : la désinformation et la diabolisation »195. [...]

[...] La symbolique du front offre effectivement des éléments centraux dans la compréhension de cette mise en scène de Jean-Marie Le Pen en sauveur. Car le front, symbole de Jean-Marie LE PEN, Discours de Valmy septembre 2006 Jean-Marie LE PEN, Discours du Bourget novembre Jean-Marie LE PEN, Discours de Lille février er Jean-Marie LE PEN, Discours de clôture du défilé Jeanne d'Arc mai Jean-Marie LE PEN, Discours de Lyon mars Gilbert DURAND, Op. Cit., p l'élévation orgueilleuse, de l'individuation par-delà le troupeau des frères est aussi une posture de résistance et de rébellion. [...]