Quels sont les points communs entre ces trois dates : le 6 octobre 2001, le 17 novembre 2007 et le 15 octobre 2008 ? Petit indice, il s'agit de football. Vous ne voyez toujours pas ? Deuxième indice, la fête a été gâchée lors de ces trois soirées. Enfin, troisième et dernier indice, le champ politique s'est indigné après la rencontre. S'agit-il d'une de ces rencontres de football qui dégénère sous la violence fanatique de ses supporters ? Non pas cette fois mais vous y êtes presque. Il s'agit en réalité de trois rencontres de football, respectivement contre l'Algérie, le Maroc et la Tunisie au Stade de France à Paris. Ces matchs qui n'avaient rien d'officiel mais qui n'avaient d'amicaux que le nom, devaient servir selon les autorités sportives à préparer les deux équipes à leurs éliminatoires respectives et par l'occasion à réconcilier deux peuples autour d'une grande fête commune. Le sport n'est-il pas un bon moyen pour montrer la fraternité et l'amitié qui unit la France à ses anciennes colonies ? Malheureusement, la fête a été gâchée par une ambiance délétère en tribune où nombre de Français d'origines maghrébines ont conspué la Marseillaise. Avant le match contre la Tunisie, les organisateurs craignant un mimétisme dans la bêtise, avaient demandé à la chanteuse Lâam de venir interpréter les deux hymnes nationaux. Française d'origine tunisienne, Lâam symbolisait comme nombre de supporters dans le stade, ces générations d'enfants nées sur le territoire français de parents étrangers. Cette mise en scène n'aura pas suffit, la Marseillaise a été conspuée, sifflée, bref humiliée sur son propre territoire. Plus symbolique encore de l'ambiance étouffante qui régnait ce soir-là au stade de France, Hatem Ben Arfa, joueur de l'équipe de France, d'origine tunisienne mais ayant choisi la nationalité française, a été pris en grippe par le public tunisien à chaque fois qu'il toucha le ballon et qu'il passa sur les écrans géants du stade de France. Le spectacle ne fut présent que sur le terrain car dans les tribunes, ce qui devait être une fête s'est vite transformé en cauchemar.
Le contexte global dans lequel s'inscrit cet incident est symptomatique d'une conjoncture difficile. L'économie française à l'image du commerce mondial est en crise. Depuis plusieurs semaines, l'essentielle de l'actualité est centrée sur ce douloureux problème qui inquiète les Français. En parallèle de la crise économique, l'attention médiatique se porte bien évidemment sur les élections américaines et le phénomène Barack Obama. Ainsi, au moment où éclate « l'affaire de la Marseillaise sifflée », les regards étaient majoritairement tournés vers le gouvernement français et sur les incertitudes des mesures qu'il comptait prendre pour répondre aux répercussions de la crise. Cet incident vient donc perturber l'agenda médiatique et le centre de l'actualité. Rappelons également que Nicolas Sarkozy a centré une partie de sa campagne présidentielle sur la fierté d'être français et sur un discours contre l'immigration assez marqué. L'ancien président de l'UMP est arrivé à décomplexer la « vieille droite » et à redonner confiance à ses élus sur des thématiques historiquement à droite comme la sécurité, l'ordre, la famille, le travail ou le patriotisme. Conduisant une campagne très à droite sur l'échiquier politique, il a connu le soutien de nombre d'électeurs traditionnels du Front National. A cela s'ajoute que l'équipe de France de football n'est pas au mieux avant de recevoir la Tunisie, et l'avenir de son sélectionneur s'écrit en pointillé. L'enthousiasme populaire derrière les bleus n'est pas reluisant et les organisateurs craignent de ne pouvoir remplir l'enceinte de 80 000 places. Conséquence, alors que le match se joue en France, la très grande majorité des supporters sont tunisiens ou d'origines tunisiennes. Enfin, pour en finir avec le contexte de l'incident, rappelons simplement quelques données historiques. La Tunisie, tout comme le Maroc et l'Algérie, sont d'anciennes colonies françaises. Ainsi, les rapports qui unissent la France avec ses anciennes colonies sont pour le moins compliqués. D'autre part, la France connaît depuis une trentaine d'années, des difficultés à intégrer ces nouvelles communautés qui viennent du Maghreb. Nombre de ces jeunes, nés sur le territoire français mais de parents étrangers, rencontrent des obstacles pour se fondre dans la communauté nationale. Bref, tous les ingrédients étaient réunis pour que le politique et les médias interviennent et que l'on évoque « l'affaire de la Marseillaise sifflée ». Pour cela, il ne manquait qu'une chose : la réaction des politiques.
[...] Ses opposants lui reprochent de sectoriser la société. Laurent Lévy dira même que le communautarisme n'existe en France pour l'essentiel que comme figure de ce qu'il faut rejeter[45] Pour Pierre-André Taguieff, directeur de recherche au CNRS, le communautarisme est d'abord un mot qui dans le discours politique en France depuis une quinzaine d'années fonctionne ordinairement comme un opérateur d'illégitimation et le communautarisme est défini par ses critiques comme un projet sociopolitique visant à soumettre les membres d'un groupe défini aux normes supposées propres à ce groupe, à telle communauté, bref à contrôler les opinions, les croyances, les comportements de ceux qui appartiennent en principe à cette communauté.[46] Le communautarisme fait peur en France alors qu'il s'est institutionnalisé au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. [...]
[...] Le politique s'attache en premier lieu à critiquer les sifflets contre la Marseillaise pour dans un deuxième temps en proposer une interprétation. Pourquoi ces jeunes ont-ils conspué l'hymne nationale tricolore ? Enfin, certains politiques se risquent à quelques propositions pour répondre à ce malaise social L'étude de ces réactions doit nous permettre de conclure à l'indécision des politiques, qui trouvent dans la critique, un refuge confortable leur évitant de tirer des conclusions difficiles à accepter, à savoir la crise du modèle d'intégration français (II). [...]
[...] Mais à l'époque, les politiques ne s'intéressaient pas au football et ça ne choquait personne. Il conclura son analyse des incidents du stade de France par une remarque pleine d'à-propos : le football est pris en otage par le monde politique[12] Rares sont les hommes politiques qui ont soutenu les commentaires de l'ancien joueur de l'équipe de France. Un seul s'est solidarisé avec lui, il s'agit de François Bayrou. Le président du Modem y voit un acte regrettable, mais propre à toute confrontation sportive : On est pour une équipe et donc on est contre l'autre, et donc on siffle le symbole de l'autre, ce qui est stupide évidemment. [...]
[...] Suivant les sujets et les enjeux qui en découlent, les journaux utilisent conjointement les deux procédés. Par exemple, Michel Richard, directeur adjoint de la rédaction du Point, commence son article sur l'affaire de la Marseillaise par la phrase Encore une affaire de Marseillaise sifflée, huée, maltraitée.[30] L'utilisation volontaire de ce vocabulaire péjoratif et de surcroît avec un effet de style montrant une accentuation dans l'indignation, est révélatrice de l'engagement de son auteur. L'emploi du terme hué n'est pas anodin, il résonne beaucoup plus fort que le terme sifflé et que dire du mot maltraité qui tend à faire passer la Marseillaise pour une personne morale, ce qui accentue dans l'esprit du lecteur la souffrance de sa victime et la désapprobation de l'acte. [...]
[...] Vers une communautarisation de la société française ? Une des grandes questions que se pose le spécialiste qui s'intéresse aux questions liées à l'intégration, est en lien avec la montée du communautarisme. Est-ce que c'est l'exclusion que crée le communautarisme ou est-ce le communautarisme qui crée l'exclusion ? Créé aux Etats-Unis dans les années 1980, le terme communautarisme désigne une philosophie dite "communautarienne" qui affirme que l'individu n'existe pas indépendamment de ses appartenances, soient-elles culturelles, ethniques, religieuses ou sociales.[44] En France, le terme a une connotation beaucoup plus péjorative et prend une autre signification. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture