Au mois d'août 2007, le président égyptien Hosni Moubarak disparaît subitement de la scène médiatique – fait très marquant puisqu'il y est en temps normal extrêmement présent. Des rumeurs naissent immédiatement sur la santé du président. On entend dire qu'il est malade, en traitement à l'étranger, peut-être même mort…
De nombreux journaux s'emparent de ces rumeurs, les alimentent, les influencent. L'un de ces journalistes, Ibrâhîm ‘Îsâ – un habitué des démêlés avec la justice – est mis en procès pour avoir provoqué une panique publique et nui à l'intérêt général. C'est à partir de ce moment que l'affaire s'institutionnalise, et l'on assiste à la formation de deux « camps » ennemis. Le procès durera presque une année entière, voyant défiler reports et rebondissements divers. Les réactions seront nombreuses et variées, sur le plan national mais aussi international.
il s'agit pour nous de questionner l'espace public dans un régime autoritaire à partir d'une affaire spécifique. Luc Boltanski, dans son essai « La dénonciation publique » analyse l'affaire comme forme sociale. Le succès d'une telle dénonciation dépend en fait de la réussite ou non du ralliement de la majorité à la cause défendue. « L'auteur d'une dénonciation publique demande, en effet, à être suivi par un nombre indéfini, mais nécessairement élevé, de personnes. La cause qu'il défend enferme une prétention à l'universalité. » Il faut que le plus grand nombre possible de personnes se rattachent à la
dénonciation, à la cause défendue pour que cette dernière soit validée. « [...] un cas problématique et litigieux dont la détermination et la décision sont liées aux manoeuvres argumentaires et probatoires, et aux efforts de mobilisation déployés dans chaque camp. »
Le succès de la « dénonciation », et donc sa transformation en « affaire » dépend de la qualité et de la quantité des arguments échangés entre les deux camps. Je me propose ainsi de m'inspirer de ce modèle, dans un contexte non démocratique à partir de l'affaire ‘Îsâ. La problématique principale de cette recherche se définit donc en ces termes :
Comment le procès ‘Îsâ s'est-il transformé en « affaire » au sens sociologique du terme ?
[...] Rappelons que le 13 septembre 2007, le tribunal correctionnel d'Al-‘Agûza au Caire les avait condamné à un an de travaux forcés et livres égyptiennes (2600 euros) d'amende pour diffusion de fausses informations pouvant causer des troubles à l'ordre public et nuire à la réputation du pays Le 18 mai, nous 39 Cité dans Al-Ahram Hebdo, Pas de quartier pour avril 2008 Idem. Cité par Lepetitjournal.com, La prison pour Ibrâhîm ‘Îsâ avril assistons à la première séance d'appel du procès sur la santé du président. L'un des magistrats du Parquet avait amené ses enfants, pour qu'ils témoignent de la panique qui les a pris, à cause des rumeurs propagées par Ibrâhîm ‘Îsâ. Pour le magistrat, ces nouvelles sont une atteinte directe engendrée par la conduite criminelle de l'accusé. [...]
[...] Au cours des 25 années du règne de Moubarak, seuls six journalistes ont été envoyés en prison. Au cours des deux dernières semaines, onze ont reçu des peines de prison ferme affirme ‘Îsâ. Le 26 septembre, Wael Al Ibrâchî, le rédacteur en chef du journal Sût al Uma a été condamné avec trois de ses journalistes à une peine de trois mois de prison. Ce fut ensuite le tour de trois journalistes du quotidien Al Wafd, qui ont reçu le 24 septembre une peine de deux ans de prison ferme pour avoir porté atteinte au prestige de la justice dans des articles publiés en janvier 2007. [...]
[...] Ce dernier est reporté, par la demande des avocats de la défense. Ils demandent plus de temps pour enquêter sur les neuf plaintes déposées par le Parquet. On note une forte présence de journalistes, de photographes et d'activistes des droits de l'homme : la salle du tribunal ne suffisait pas à contenir les cohortes de journalistes, d'observateurs internationaux dépêchés par les ambassades et de militants des droits de l'Homme égyptiens ou étrangers »36. Les forces de sécurité sont également en nombre. [...]
[...] Notons que c'est le président de la République qui nomme ce Cheikh, ce qui explique son classement au nombre des acteurs politiques. Il est donc toujours en accord avec lui, il énonce la religion officielle Il a ainsi émis, lors d'une cérémonie à laquelle assistait le président Moubarak (l'assemblée de la nuit sacrée qui correspond au vingt-septième jour du mois de ramadan), une fatwa appelant à punir les journalistes reconnus coupables de diffamation de quatre-vingt coups de fouet. Il a également prôné le boycott des journaux qui publient des informations jugées fausses ou inexactes par la justice Devant l'indignation générale, il s'était rétracté, affirmant que ses propos avaient été déformés. [...]
[...] "created an air of sadness and depression", cité par The Independent : Editor faces jail over Mubarak health rumours 2 octobre Ibrâhîm ‘Îsâ, quant à lui, se défend de verser dans la rumeur pour vendre du papier. Nous n'avons pas diffusé la rumeur, dit-il. Nous avons publié des articles au sujet de la rumeur : la différence est de taille. Partout, sur Internet, dans la rue, se répandaient des bruits sur les problèmes de santé du président, ou sur sa mort. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture