Les Européens donnent l'impression, depuis près d'un siècle, d'être confrontés en permanence au spectre du déclin. Pour les rassurer, il convient de rappeler les propos de l'humaniste Guillaume Budé qui écrivait en 1535 : « Quant à moi je suis plutôt enclin à penser que le dernier jour a commencé de tomber, et que le monde est déjà au déclin, qu'il est vraiment vieux et privé de sens, qu'il indique et annonce sa fin prochaine et sa chute ».
Le thème du déclin - si récurrent chez les penseurs et les hommes politiques européens - apparaît comme une sorte de jeu intellectuel, un stimulant, un moyen de se « faire peur » pour surmonter les difficultés (des après-guerres, de la mondialisation). Derrière la peur de perdre son rang, se cache la volonté farouche de le préserver. Rien de tel que le spectre du déclin, voire de la décadence, pour stimuler les énergies et trouver les voies renouvelées de la puissance.
[...] L'obsession du déclin européen : un thème récurrent depuis le XVIe siècle En 1920, le géographe français Albert Demangeon constate, en préface de son livre intitulé Le déclin de l'Europe, le déplacement de la fortune qui apparaît comme l'un des faits capitaux de la guerre, non pas du point de vue social, mais du point de vue international. Il n'est douteux pour personne que l'Europe, qui régissait le monde jusque vers la fin du XIXe siècle, perde sa suprématie au profit d'autres pays ; Nous assistons au déplacement du centre de gravité du monde hors d'Europe ; nous voyons sa fortune passer aux mains des peuples de l'Amérique et de l'Asie Cette véritable guerre civile européenne que fut la Première Guerre mondiale provoque - tant auprès des intellectuels que du grand public - une large prise de conscience devant ce qui semble être un constat et non plus une simple menace. [...]
[...] Le chantier européen à travers la mise en place de la CECA et de la CEE relègue alors au second plan cette peur européenne du déclin amorcé depuis la guerre de 14-18, reflet d'une véritable crise de civilisation. Cette inquiétude est cependant réactualisée dès les années 1980 dans le contexte des difficultés économiques consécutives à la crise des années 70 où l'Europe se sent menacée par l'émergence de nouveaux compétiteurs (asiatiques essentiellement avec la réussite insolente du Japon, de la Corée du Sud et plus tard de la Chine) et par le redressement spectaculaire des Etats-Unis grâce à la Reaganomics puis à la New Economy (même si les Etats-Unis furent eux aussi saisis un temps par le vertige du déclin avec Nixon se demandant : Que reste-t-il d'Athènes et de Rome ? [...]
[...] Uniquement des ruines comme vous le savez. L'Europe craint à nouveau d'être broyée par ce double moulin - américain et asiatique - et d'être engagée sur la voie du déclin économique (délocalisations, perte de compétitivité . Mais c'est surtout en France que le débat a rebondi au début du XXIe siècle avec le choeur des déclinistes et autres déclinologues (Nicolas Baverez, La France qui tombe, 2003) déplorant la perte d'influence de la France en Europe et dans le monde. Ce débat prend alors une dimension nationale (le retard ou le décrochage français par rapport aux autres pays, européens ou non), voire même anti-européenne : en Grande-Bretagne l'intégration à l'Europe est présentée par les eurosceptiques comme la voie du déclin. [...]
[...] Derrière la peur de perdre son rang se cache la volonté farouche de le préserver. Rien de tel que le spectre du déclin, voire de la décadence, pour stimuler les énergies et trouver les voies renouvelées de la puissance. [...]
[...] Les conséquences économiques de la Grande Guerre et la révolution bolchevik de 1917 ne font que renforcer cette menace largement évoquée par la littérature de l'entre-deux- guerres. Ainsi, André Siegfried appelle en 1935, dans la crise de l'Europe, à ne pas se laisser laminer entre la masse américaine et la masse asiatique Pour contrer ce danger, l'homme politique français Edouard Herriot réclame l'unification européenne dans un article au titre éloquent : Devant l'expansion économique des Etats-Unis, nécessité d'unir l'Europe (publié dans Le capital en 1929). La peur du déclin s'accompagne alors souvent d'un anti-américanisme. [...]
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