La campagne du référendum sur le Traité Constitutionnel Européen (T.C.E.) a fait l'objet de nombreux commentaires des journalistes politiques, en particulier des éditorialistes, ne serait-ce que parce que ceux-ci, majoritairement acquis à la cause du « oui », suivaient de près la campagne et l'évolution des estimations de vote. Nul doute que si le « non » n'avait pas rapidement menacé dans les sondages, les journalistes auraient trouvé beaucoup moins d'intérêt à la campagne référendaire. Une campagne ronronnante, qui n'aurait vu que l'échange d'arguments convenus, dans une ambiance de connivence mutuelle entre des élites journalistiques et politiques partageant le même point de vue sur le « bon » vote, aurait suscité moins de commentaires. Or ce qui frappe lorsqu'on cherche à analyser les commentaires politiques sur cette campagne, même en se limitant à la presse écrite, c'est la profusion d'éditoriaux consacrés au référendum du 29 mai, et à l'analyse de la campagne et des résultats.
Mais ces résultats, qui se profilaient au fur et à mesure des sondages successifs, ne présentaient pas les chiffres attendus. Contrairement à ce qu'avaient prévu les représentants des grands partis, lorsqu'ils avaient voté à Versailles la révision constitutionnelle qui allait permettre de soumettre la décision de ratifier le Traité à un vote par référendum, le « oui » n'était pas acquis, et les classes populaires ne semblaient pas vouloir se cantonner à la démobilisation et à l'abstention dont elles semblaient désormais coutumières.
L'objet de cette étude de cas est de faire le « commentaire du commentaire » de la campagne du référendaire et des résultats du scrutin du 29 mai 2005. L'objectif n'est donc pas d'analyser les commentaires des journalistes politiques sur le T.C.E. lui-même. Certes la quasi-unanimité des éditorialistes sur la nécessité de voter « oui » mérite d'être étudiée afin également de comprendre comment ils ont commenté la campagne et les résultats du vote au référendum. Cependant le but de notre exercice est avant tout d'étudier la manière dont les journalistes politiques ont commenté la campagne, ont analysé les stratégies des partisans du « oui » et celles des partisans du « non », on « fait parler » des sondages qui, bien souvent, ne leur convenaient pas, pour expliquer les déterminants du vote « non », et enfin comment ils ont, pour la plupart, transformé par leurs commentaires des résultats du vote la victoire du « non » en défaite.
A l'issue de l'analyse de ces éditoriaux, deux éléments caractérisent le commentaire sur la campagne et les résultats du référendum du 29 mai, que nous détaillerons successivement : tout d'abord, les éditorialistes se sont pour la plupart posés en stratèges de la victoire du « oui », en conseillers politiques des ses partisans ; ensuite, ces journalistes politiques ont dans leur grande majorité analysé le vote populaire non comme un choix politique mais comme un cri, l'expression d'une émotion.
[...] Il est douteux que cela contribue à les faire changer d'avis. On remarque que la critique ne porte même pas sur le caractère douteux du procédé qui consiste à amalgamer tous les partisans du non à Jean-Marie Le Pen, quels que soient leurs arguments, mais seulement sur l'inefficacité de la stratégie. Quoi qu'il en soit, cette posture en dit long sur le rôle que prétendent jouer et le pouvoir que s'attribuent certains éditorialistes. D'où ces conseillers en stratégie politique autoproclamés tirent-ils leur légitimité à critiquer la campagne en place et à se poser en stratèges du oui ? [...]
[...] Les éditoriaux deviennent des audits de la campagne du oui et des notes stratégiques. Par ailleurs les journalistes, comme les hommes politiques partisans du T.C.E., cherchent à disqualifier le vote non en faisant spontanément appel à des images et des discours des classes dominantes sur le peuple, déjà utilisées au XIXème siècle pour parler des mobilisations ouvrières. Le peuple n'exprime pas une opinion politique, mais une émotion. Il est enragé, le référendum l'a libéré des limites de la démocratie représentative et il peut cesser de se maîtriser à tout moment. [...]
[...] Le peuple qui proteste est donc incapable de réflexion. On le voit dans l'éditorial de Denis Jeambar Mèche courte L'Express, lundi 21 mars 2005) : Boussoles et cervelles sont désorientées par les nouvelles règles du monde et les contradiction qu'elles alimentent [ La marmite bout parce que la France est un pays où l'on préfère juger avant de comprendre, décider avant d'expliquer, procéder par ruptures plutôt que par réformes. Du coup, la confusion se généralise et le risque est sérieux que le désarroi trouve dans l'Union européenne, lointaine, complexe, et trop opaque, un commode bouc émissaire. [...]
[...] Une révolte qui va croissant depuis dix ans, quel que soit l'objet du scrutin, depuis l'élection présidentielle de 1995, suivie par la législative anticipée de 1997, le 21 avril 2002, et enfin le 29 mai 2005. Ce sont les électeurs de gauche qui, à chaque fois, ont pris la tête de la fronde, qui ont fait la décision, dans un sens ou dans un autre, sans distinction partidaire, pour ou contre les dirigeants de gauche. La hantise d'un référendum qui se confondrait avec un plébiscite imprègne nombre d'éditoriaux étudiés. [...]
[...] Les ministres lorgnent sa succession. Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac semblent chercher encore la martingale qui leur permettrait à la fois de s'engager pour le oui et de ses prémunir contre les conséquences d'une victoire du non. Mais, pendant que l'UMP se dote d'un projet social pour 2007, elle ne prépare pas le rendez-vous du 29 mai. Dès lors, l'injonction des éditos est claire : il faut démarrer la campagne du oui, puisque la progression du non n'est que la conséquence du remue-ménage que fait la campagne des opposants au traité qui, eux, l'ont déjà lancée à plein. [...]
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