Aucune analyse de la situation politique allemande de la seconde moitié du XXème siècle ne peut faire l'économie d'un regard en arrière : il semble aujourd'hui évident d'affirmer que l'expérience du totalitarisme nazi a profondément bouleversé la conscience politique de l'Allemagne. La mise à mort de la République de Weimar en 1933 a en effet eu ceci d'effrayant qu'elle s'est strictement déroulée dans le respect du cadre institutionnel de l'époque. Instabilité chronique, faiblesse des institutions ou des hommes, de nombreuses thèses ont été avancées pour justifier ce naufrage aux conséquences funestes. Dans ce contexte, les institutions allemandes se sont logiquement reconstruites après 1945 sur une volonté forte de protéger le système démocratique du danger extrémiste. Cette exigence s'est ainsi traduite en termes constitutionnels par un contrôle accru des partis politiques : l'article 21 de la Loi Fondamentale leur reconnaît de fait une qualité d'organes institutionnels, des droits mais surtout des devoirs. De même, le système de financement est clairement codifié, combinant générosité, équité mais également rigueur. Si ce plus grand contrôle des partis a eu le mérite de poser des garde-fous nécessaires au bon fonctionnement du système démocratique, il a paradoxalement renforcé l'emprise des partis sur celui-ci. Ainsi, ce rôle prédominant a favorisé l'émergence de relations étroites entre les diverses formations politiques allemandes, parfois désignées par l'expression ambiguë de « jeu des partis ». Pourtant, face aux ambitions louables poursuivies par les rédacteurs de la Loi Fondamentale, l'interrogation demeure : la puissance partagée entre les partis allemands fait-elle réellement le jeu de la démocratie ou ne renforce-t-elle pas plutôt le « jeu des partis » dans son sens péjoratif ? Nous verrons ainsi que l'expression de « jeu des partis » s'est fortement illustrée dans la politique allemande encore plus qu'ailleurs, s'articulant autour d'une double logique : les partis allemands sont contraints par le système de trouver des terrains d'entente les uns avec les autres, ils sont en ce sens à la fois des « partenaires forcés » et des garants du jeu institutionnel, le terme de « jeu » étant entendu ici au sens d'une recherche de compromis ; néanmoins, leur impressionnant pouvoir au sein des institutions laisse également parfois penser qu'ils « jouent » plus pour eux que pour la démocratie : le « jeu » prend alors ici une connotation négative, qui souligne la « dérive politicienne » qu'entraîne le poids démesuré des formations politiques en Allemagne
[...] Les partis sont en effet très structurés et bénéficient d'effectifs importants : le SPD revendique ainsi adhérents et l'alliance CDU-CSU Ce poids leur permet d'adopter des logiques partisanes : partages des pouvoirs et des postes de l'Etat entre les hommes du parti, au niveau local ou national. Cette forme de clientélisme est de plus en plus rejetée par une majeure partie de la population. qui provoque une crise des partis traditionnels L'effacement apparent des clivages idéologiques traditionnels et les dérives du pouvoir partisan accréditent de plus en plus dans l'opinion l'idée d'un jeu des partis à sens unique. Ceux-ci semblent plus se coaliser par goût du pouvoir que par réelle volonté politique. [...]
[...] Le jeu des partis consiste alors en la recherche d'un accord permettant de former une coalition. L'histoire politique allemande montre ainsi, paradoxalement, à la fois la stabilité et la fragilité de ces coalitions : si le FDP s'est par exemple associé à la CDU-CSU pendant 20 ans, puis au SPD pendant 13 ans, chacun de ses revirements, comme en 1969 ou 1982, rappelle la précarité de ces alliances, dès lors qu'un de ces membres change de camp. De plus, le système de coalitions entraîne parfois même des rapprochements entre partis idéologiquement opposés : ce fut le cas de la Grande Coalition CDU-CSU-SPD de 1966 à 1969, ou encore depuis 2005, prouvant la force de ce système qui parvient même à transcender les clivages traditionnels lorsque la situation l'exige. [...]
[...] Le jeu des partis né de leur excès de pouvoir, représente un détournement des institutions au profit d'une logique partisane Le principe de coalition favorise les rapprochements idéologiques L'exercice de la coalition et du consensus nécessite des accords de fond, des rapprochements idéologiques. Ainsi la nouvelle coalition dirigée par Angela Merkel a-t-elle du s'y plier, en tentant de concilier ses vues sur le chômage ou la politique étrangère avec celles du SPD : un partage des portefeuilles ministériels en résulte. Au niveau du citoyen, la lisibilité de l'exercice n'est pas toujours assurée. A l'inverse, elle propage l'impression d'une absence de confrontations entre les corpus idéologiques du centre-droit et du centre-gauche. [...]
[...] BIBLIOGRAPHIE Roberto Michels, Les partis politiques, Paris, Flammarion, coll. [...]
[...] Mais l'inclusion accrue des partis dans le système institutionnel les a placés au cœur de la démocratie allemande, de sorte que, paradoxalement, celle-ci repose en grande partie sur leur capacité à s'accorder sur un compromis. De même, cet excès de pouvoir semble étrangement fragiliser les partis à long terme. En effet, de plus en plus contestés du fait des dérives du système partisan qu'ils ont mis en place, ils alimentent les extrêmes qui recueillent ainsi les fruits du mécontentement et de la désaffection pour les partis traditionnels. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture