Wendy Brown est une théoricienne politique américaine, spécialisée dans la pensée politique européenne, notamment Nietzsche et Foucault, Marx et Weber, l'École de Francfort, et intégrant les courants anglo-américains de la théorie féministe et des cultural studies. Cet essai, écrit après les attentats du 11 septembre 2001 et après la décision américaine d'envahir l'Afghanistan puis l'Irak, met à jour un processus de « dé-démocratisation » de la société occidentale, qu'elle explique par l'effet conjugué de deux nouvelles formes de rationalités politiques, le néolibéralisme et le néo-conservatisme.
Ainsi, Wendy Brown s'attache à montrer que la démocratie libérale est entrée dans un processus de destruction qu'il conviendrait d'enrayer, et appelle à cette fin la gauche à renouveler sa critique de la droite américaine en prenant acte des raisons profondes qui produisent une « dé-démocratisation » de la société, au lieu de se contenter de lui opposer un autre modèle social et économique.
[...] Sur le plan du contenu, l'analyse de Brown apparaît globalement juste et pertinente. Cependant, si son souci de rigueur intellectuelle dans la systématisation des deux rationalités politiques est très appréciable, son idée principale reste relativement peu révolutionnaire (l'expansion des comportements de rationalité économique à toutes les autres sphères politiques et privées, concernant le néolibéralisme ; d'une part, et la présentation du néo-conservatisme comme réponse à un supposé manque de sens, d'autre part, étant une analyse assez communément admise en Europe). [...]
[...] Ainsi, Wendy Brown évoque la déconstruction des institutions démocratiques par des mesures telles que le Patriot Act entraînant la limitation des libertés publiques et revenant sur le droit à un jugement équitable introduit par l'Habeas Corpus, les pratiques de l'agence pour la sécurité intérieure ( Homeland security), l'affaiblissement de la justice et le peu de cas fait par l'administration Bush des Conventions de Genève, l'indifférence des citoyens à l'égard de la corruption électorale, lors de la décision de la Cour Suprême de ne pas annuler les élections en Floride suite à l'élection controversée de G.W. Bush, les dispositifs sociaux régressifs ou la politique anti-immigration, rencontrant une indifférence de la part des citoyens, pris dans la logique de maximisation des intérêts particuliers, etc. La rationalité néoconservatrice, quant à elle, est définie comme une rationalité politique morale. Cette rationalité entretient des relations ambigües avec le néolibéralisme, puisqu'elle coexiste avec lui (notamment sous l'administration Bush), tout en présentant des points contradictoires avec celui-ci . [...]
[...] Ainsi, on peut regretter que Wendy Brown ne précise pas que le phénomène d'individualisme dans les votes politiques (l'individu-client d'une offre politique) dévie peut-être d'un présupposé libéral économique, selon lequel la somme des intérêts particuliers concourt à l'intérêt général. Or, c'est ce présupposé qu'il conviendrait de questionner. [...]
[...] Brown montre que la rationalité néolibérale excède la sphère économique pour imprégner la sphère politique et la sphère privée. Dès lors, la citoyenneté s'en trouve redéfinie. Le citoyen soumet chaque aspect de la vie politique et sociale au calcul économique : il devient un individu- client d'une offre politique en fonction de son seul intérêt propre. Le critère du bien public lui apparaît obsolète, le citoyen néolibéral type [étant] celui qui choisit stratégiquement, pour lui-même, entre les différentes options sociales, politiques et économiques ; non celui qui œuvre avec d'autres à modifier ou à rendre possible ces options (p. [...]
[...] Pour finir, on peut regretter que Wendy Brown n'ait pas analysé les liens entre dé-démocratisation et conception de la main invisible du marché théorisée par Adam Smith. En effet, si l'auteure met bien en évidence l'influence du néolibéralisme sur un changement de paradigme politique, elle postule que le libéralisme, parce qu'il opérait une distinction entre sphère politique et sphère économique, n'a pas d'influence quant au changement de posture par rapport à la sphère publique. Or, Adam Smith, l'un des pères du libéralisme, théorise dans La richesse des Nations que la somme des intérêts particuliers concourt naturellement à l'intérêt général (phénomène qu'il nomme la main invisible du marché). [...]
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