Paul Ricoeur, philosophe et écrivain a défini l'Etat démocratique comme étant un « Etat qui ne se propose pas d'éliminer les conflits mais d'inventer les procédures leur permettant de s'exprimer et de rester négociables ». Il introduit ici ce qu'il nomme le « consensus conflictuel », qui servira de fondement à l'irruption du pouvoir judiciaire dans la vie politique.
Cette irruption du pouvoir judiciaire sur la scène politique a été étudiée par Denis Salas, magistrat, enseignant et chercheur à l'Ecole nationale de la magistrature dans son livre, Le tiers pouvoir : vers une autre justice. Il y met au jour les causes de cette mue décisive : un changement affecte de l'intérieur le statut de la justice tandis qu'un renouveau de la société civile lui donne une place qu'elle n'a pas jamais eue. Les hommes politiques ne peuvent prétendre se juger eux-mêmes ou n'être justiciables que devant leurs électeurs. Ainsi renaît une instance impartiale, indispensable à l'équilibre de la démocratie représentative.
Cette évolution du pouvoir judiciaire remet les Droits de l'homme au centre du débat ; en effet, s'ils cessent d'être un rêve philosophique, c'est que le juge redonne sens et puissance à des valeurs que l'on croyait perdues. Rien dans la culture juridique continentale ne le prédisposait à jouer un rôle politique décisif. Il n'était alors que l'instrument docile de la souveraineté et symbolisait la dépendance originelle à un exécutif omniprésent. On assiste pourtant, suite à différentes ruptures entre Etat et société ainsi qu'aux évolutions historiques, à la montée en puissance du pouvoir judiciaire et, par conséquent, à la puissance du juge. Ce dernier acquiert finalement un pouvoir politiquement défini et reconnu par tous.
[...] Le but premier du pouvoir judiciaire étant de pouvoir répondre à cette recrudescence de demande tout en préservant la qualité du traitement. Il suscite également des modes alternatifs de règlement des conflits. Selon Salas, cette démocratisation du pouvoir judiciaire entraine inévitablement des erreurs judiciaires, en raison du nombre toujours croissant de dossier. Cependant, elle a permis à de nombreux individus de se faire entendre sur une scène plus grande, et de donner de l'importance à leurs requêtes ou à leurs plaintes. [...]
[...] Les pouvoirs de la magistrature ont été forts parce qu'ils se déployaient dans un Etat où la justice ne jouait pas en réalité un rôle autonome, et on pouvait lui donner plus de pouvoir du moment que c'était un pouvoir sous tutelle. En procédant de cette façon, Salas laisse son lecteur libre de se forger sa propre opinion sur les enjeux que font naitre la montée en puissance du juge. Le pouvoir judiciaire, institution au service de sa population. La justice naissante semble reconstruire les frontières entre le peuple et ses représentants. Salas énonce qu'avec l'importance croissante accordé au pouvoir judiciaire, c'est toute une représentation de la démocratie qui est mise en jeu. [...]
[...] La population montre une véritable défiance envers son Etat. On observe toujours la même combinaison de facteurs, en partie responsable de cette perte de confiance, c'est le cumul d'une absence totale de contrôle rendu impensable, car la logique de rang impose de faire confiance, d'une corruption et d'une confusion faite entre politique et justice. L'auteur, pour illustrer cette défiance, donne l'exemple de l'usage des lois d'amnistie qui, selon lui, aggravent l'injustice déjà très présente dans notre société : Quand l'illégalité est acceptable, stigmatisée, et plus ou moins tolérée, comment s'étonner que la justice entre en scène ? [...]
[...] Est-il alors judicieux de dénoncer à la fois l'injustice des lois d'amnistie, et les conditions des détenus dans les prisons surpeuplées ? Alain Gérard Slama, historien et journaliste français, conforte l'argumentaire de Denis Salas en dénonçant un aspect du système judiciaire français : l'abus de détention provisoire en raison d'une alliance entre justice et police, qui chacune veule sauver le prestige de l'ensemble des institutions. Notre justice cumule alors, dans ses prisons, le défaut rédhibitoire du modèle américain, qui donne tout pouvoir à la police, et le défaut indispensable à corriger du modèle français, qui est la toute-puissance du juge d'instruction. [...]
[...] Salas insiste sur ce terme de Tiers pouvoir, il en fait même le titre de son œuvre. Cela montre bien, d'une part, que le pouvoir judiciaire diffère des deux autres pouvoirs -exécutif et législatif- dans le sens où il instaure un rapport nouveau entre les différents acteurs de la société. En effet, les citoyens jusqu'alors tributaires d'un pouvoir exécutif tout puissant et par la même de leurs représentants, se voient intégrés à la vie politique et deviennent même des acteurs de celle-ci. [...]
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