Autrefois, le départ à la retraite marquait la coïncidence entre la fin de la vie professionnelle,
l'obtention d'une pension et le début des handicaps de la vieillesse. Cette coïncidence n'existe plus : le travail cesse bien souvent avant la liquidation de la pension et la « vieillesse » est peu à peu repoussée dans le grand âge. L'augmentation de la longévité ouvre l'horizon d'une existence où l'on ne sera bientôt, à 60 ans, qu'aux deux tiers de sa vie. Au-delà des débats d'experts, comment repenser les retraites pour des hommes et des
femmes qui, avant de connaître les affres de la vieillesse, seront longtemps « âgés sans être vieux » ? Comment sécuriser les nouveaux parcours de vie et faciliter leurs transitions ? Comment prendre en compte, non seulement le risque de dépendance, mais aussi le risque « fin de carrière » ? Le temps des retraites de Xavier Gaullier, sociologue ayant consacré l'essentiel de ses travaux à l'organisation des âges et des temps de la vie dans les sociétés modernes (l'Avenir à reculons, la Deuxième carrière, les Temps de la vie), dessine les contours d'une nouvelle retraite, adaptée à la recomposition des cycles de vie et singulièrement à l'émergence d'un nouvel âge :les 50-70 ans.
Voici vingt ans que l'avenir des retraites occupe l'actualité. Le vieillissement est devenu un problème
majeur. Est-on sûr pourtant d'en prendre toute la mesure ? La réforme des retraites est liée à trois paramètres :les cotisations, les prestations et l'âge de départ, ainsi qu'au type de gestion choisi – répartition ou capitalisation.
L'aborder comme une équation à résoudre risque pourtant de la réduire à un exercice pour initiés, alors qu'elle concerne, non seulement les niveaux de vie, mais aussi les modes de vie et les cycles de vie.
Xavier Gaullier propose une autre façon de réfléchir, en insistant sur les conséquences sociétales des
choix qui seront faits demain. Car toute transformation du niveau des cotisations, des pensions ou de l'âge du
départ, affecte en même temps l'organisation des temps sociaux sur l'ensemble de l'existence. La société salariale avec sa conception de l'emploi, des carrières et de la protection sociale se transforme : la retraite à son
tour se redéfinit.
Il faut prendre au sérieux le fait que les institutions de retraite délivrent à la fois des pensions et du « temps libre indemnisé ». Toute modification des règles d'attribution de ces pensions implique de nouveaux arbitrages entre revenu et temps libre, entre temps de travail et temps hors travail, ainsi qu'entre les divers temps sociaux (familial, professionnel, de formation…) sur l'ensemble de l'existence. Ainsi, le fait qu'il faille cotiser pendant 40 ou 37,5 ans pour une pension plus ou moins élevée n'est pas sans conséquences sur l'organisation du cycle de vie. Mais l'allongement de l'espérance de vie est tout aussi décisif.
Comme l'évolution du temps de travail, celle de la retraite est liée aux transformations des autres temps sociaux, elles-mêmes travaillées par une longévité croissante. La retraite devient une « banque du temps » qui implique une certaine répartition des périodes d'activité et de non-activité sur toute la vie. Elle s'inscrit dans la « question sociale au XXIe siècle », celle des temps de la vie et non plus seulement celle du temps de travail.
Certains restent pourtant tentés de réduire la question au problème de la retraite à 60 ans. Ce point ne saurait être minimisé mais l'enjeu de la retraite-banque du temps est plutôt obscurci qu'éclairé par cette focalisation. Il vaut mieux partir de deux défis.
Le premier concerne un nouvel âge : les 50-70 ans, une période caractérisée par une double
déstabilisation, celle des fins de carrière professionnelle et celle de la réforme des retraites. Que signifie le projet d'un « vieillissement actif » ? Le second porte sur les transformations du parcours de vie à partir du paradoxe de la « société longévitale ». On aurait pu croire que le gain d'espérance de vie serait réparti de façon équilibrée entre les différents âges. Il n'en est rien : il est actuellement tout entier imputé à la retraite.
L'augmentation du temps libre dont chacun de nous dispose est ainsi d'abord consacré à du temps en fin de vie.
En sera-t-il de même demain ?
Les choix à venir pourront donner lieu à des situations plus ou moins précaires ou, au contraire,
favoriser la qualité de vie et le « bien vieillir ». Il y va d'un projet de société. L'hypothèse de cet essai est que l'enjeu réel de nos débats consiste à imaginer un nouveau concept de retraite, adapté à la recomposition des cycles de vie et singulièrement à l'émergence de ce nouvel âge : les 50-70 ans. Ne pas le comprendre, c'est prendre le risque d'une réforme technocratique et inadéquate. L'admettre, c'est s'engager dans une redéfinition des modalités de la protection sociale qui prenne en compte à la fois le risque « fin de carrière » et le risque dépendance, et non seulement, comme autrefois, le risque vieillesse. Bref, c'est essayer de penser une retraite qui sécurise les nouveaux parcours de vie, facilite les transitions et organise de nouveaux équilibres entre choix individuels et garanties collectives.
[...] La croissance économique facilite les problèmes de financement, mais ne les résout pas. Positions et propositions. Les mesures à prendre pour assurer l'équilibre des régimes se rapportent toutes au triangle des retraites : repousser l'âge effectif du départ, laisser se dégrader le niveau de vie relatif des retraités, augmenter les taux de cotisations, à quoi il faut ajouter la question de l'indexation qui est capitale pour le pouvoir d'achat des retraités comme pour les dépenses des régimes. L'analyse peut préciser comment chaque variable peut s'ajuster à différents objectifs. [...]
[...] C'est la fin des préretraites telles que nous les avons connues ces dernières décennies. C'est aussi la fin des carrières continues et linéaires, gérées à l'ancienneté, dans la même entreprise. Les situations deviennent de plus en plus diversifiées (et donc de plus en plus inégalitaires) et inaugurent un nouveau régime : la pluriactivité, qu'elle soit subie ou choisie. Même en maintenant le seuil des 60 ans comme repère collectif, la retraite, elle aussi, pourra prendre de multiples formes, chaque mesure devant être liée à des garanties collectives qui permettent de garder les avantages d'une gestion par répartition, la liberté de choix ne pouvant être celle d'une épargne ordinaire. [...]
[...] La question des temps, et non seulement du temps de travail, devient de plus en plus importante à une époque qui remet en question l'ensemble de la société antérieure. Une gestion dynamique de la banque du temps serait une forme dynamique de la retraite à la carte Conclusion : La société salariale se définit par un certain type d'emplois et de protection sociale, mais aussi par une façon spécifique de gérer les âges de la vie et les différentes activités humaines. [...]
[...] L'organisation du parcours de vie est en effet marquée aujourd'hui par trois frontières : 55 ans ans et 65 ans. Ces seuils correspondent à des mesures sociales collectives. L'importance de l'âge serait donc liée à des pays où la protection sociale est plus développée, et elle serait moindre, voire abolie, dans ceux qui suivent plus directement les tendances du marché. Le critère d'âge correspondrait à une mesure de protection sociale, ce qui signifie aussi qu'il est relatif et qu'il peut changer. D'autant qu'un âge déterminé comme règle collective peut aller de pair avec une certaine dose de choix individuel. [...]
[...] Ne pas le comprendre, c'est prendre le risque d'une réforme technocratique et inadéquate. L'admettre, c'est s'engager dans une redéfinition des modalités de la protection sociale qui prenne en compte à la fois le risque fin de carrière et le risque dépendance, et non seulement, comme autrefois, le risque vieillesse. Bref, c'est essayer de penser une retraite qui sécurise les nouveaux parcours de vie, facilite les transitions et organise de nouveaux équilibres entre choix individuels et garanties collectives. A utrefois, A 1 I : Quelle crise ? [...]
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