Cette édition rassemble la première partie de Du Témoignage paru en 1930 que Jean Norton Cru avait conçu comme un résumé de son très grand livre Témoins, paru à compte d'auteur en 1929.
Poilu, engagé sur le front de la mi-octobre 1914 à février 1917, Jean Norton Cru a participé à la bataille de Verdun en juin 1916 et janvier 1917. Il dut à son bilinguisme (sa mère est anglaise, son père ardéchois) d'être alors affecté à l'arrière, d'abord comme traducteur puis comme formateur d'interprètes avant de partir en mission aux Etats-Unis.
Jean Norton Cru avait rejoint la France après le déclenchement des hostilités, répondant simplement sans hésitation à son ordre de mobilisation. Son baptême du feu en octobre 1914 fut pour lui l'écroulement de toutes ses idées sur la guerre. Comme il écrit, « notre baptême du feu, à tous, fut une initiation tragique. ». En fait, ce fut la découverte du mensonge, celui qui avait permis de faire partir si facilement des millions d'Européens en août 1914 : « Sur le courage, le patriotisme, le sacrifice, la mort, on nous avait trompés, et aux premières balles nous reconnaissions tout à coup le mensonge de l'anecdote, de l'histoire, de la littérature, de l'art, des bavardages de vétérans et des discours officiels. »
Jean Norton Cru met ici le doigt sur un point essentiel: les anciens combattants eux-mêmes participent, ceux de 1914 comme ceux des guerres précédentes, à la réécriture de la guerre, par omission, déformation et « aseptisation », comme dirait Annette Becker. Ce processus était déjà à l'œuvre du temps même de la guerre: les permissionnaires ne racontaient pas tout ce dont ils sortaient à peine, de même dans leurs lettres les poilus camouflaient fréquemment la réalité crue de leur quotidien et se conformaient à la vision attendue à l'arrière par les proches, vision la plus rassurante possible. Mais le niveau d'horreur atteint pendant la Grande Guerre et le nombre de personnes qu'elle toucha firent cependant que le mensonge fut plus difficile à perpétuer: certains s'enfermèrent dans le silence, ne racontant jamais leur guerre, d'autres tentèrent de briser le mensonge et de raconter la guerre telle qu'elle avait été: le cérémonial des 11 novembre analysé par Antoine Prost montre la volonté des anciens combattants de montrer la guerre, et Témoins relève de la même logique.
L'auteur a voulu s'attaquer à « l'inconcevable ignorance » et montrer le vrai visage de la guerre. Son témoignage et sa critique des témoignages a un but bien clair et jamais dissimulé: éviter le retour de la guerre. Norton Cru est un pacifiste chrétien et ne le cache pas, et ce dès le temps de la guerre. En janvier 1917, il écrit depuis Verdun : « Si nous avons encore la guerre au XXe siècle, c'est parce que les hommes ont trop entretenu cette fameuse beauté du carnage. Nous devons tous dire ‘mea culpa', et non constamment ‘tua culpa' ».
Son idée est simplement d'éviter le retour de la guerre en cessant de répandre des mensonges sur son compte et en la montrant telle qu'elle est. Elle est assez affreuse pour vacciner les hommes contre l'envie de la faire. C'est la même logique que celle que l'on voit à l'œuvre dans le J'accuse d'Abel Gance où le protagoniste essaie, il y parvient d'ailleurs, d'éviter la guerre en montrant son horreur par le défilé des morts et des gueules cassées, témoins malheureux de cette horreur, que Gance fait défiler à l'écran (ce sont de vrais mutilés de guerre et anciens combattants français). D'ailleurs, tout comme le protagoniste de J'accuse s'était autrefois engagé, avant un assaut, auprès de ses camarades de tranchées à empêcher le retour de la guerre pour qu'ils ne soient pas morts en vain (cf la der des der), c'est : « là, dans ma tranchée, [que] je [Jean Norton Cru] fis le serment solennel de ne jamais soutenir ces mensonges, et, si Dieu me sauvait la vie, de rapporter la relation sincère et véridique de mon expérience. (…) j'ai juré de ne pas trahir mes camarades en peignant l'angoisse sous les couleurs brillantes du sentiment héroïque et chevaleresque. ».
Depuis les tranchées, déjà il écrivait : « Si j'ai un espoir, c'est que cette guerre fera naître une littérature réaliste des combats, dues à la plume des combattants eux-mêmes, à la plume des survivants et à celle des morts. »
Il décida rapidement d'écrire Témoins tant il était écœuré par toute la littérature de guerre qui pullulait dans les années 1920 et du temps même de la guerre : romans de guerre, « témoignages », carnets, lettres, etc. , opérations de librairies trop souvent, pour lui qui avait connu la guerre, bourrés d'erreurs, de mensonges, de faits imaginés ou déformés. « Je considère comme un sacrilège de faire avec notre sang et nos angoisses de la matière à littérature » (p. 145) écrit-il faisant écho à Dostoïevski dans L'Idiot (p. 726) : « Si un romancier s'attaquait à l'histoire il en ferait un tissu d'absurdités et d'invraisemblances ».
C'est pour que l'historien puisse un jour discerner les bons témoins, les témoins probes au milieu de la boue mensongère des écrits sur la guerre qui venait de se terminer que Jean Norton Cru entreprit ce travail énorme de recensement, critique comparative qui donna naissance à Témoins. Son livre fut refusé par tous les éditeurs tant il bousculait de choses, s'attaquant sans crainte à Barbusse, Dorgelès ou encore Remarque dont les livres pourtant étaient alors des best-sellers. Encore une fois, on ne peut s'empêcher de penser à L'Idiot de Dostoïevski : « En ce qui concerne les relations des témoins en général, on croit plus volontiers un grossier menteur ou un plaisantin qu'un homme de mérite digne de respect. » (p. 722).
[...] L'affaire Norton Cru. Seuil et dans l'article paru dans Mouvement Social, n°199 (voir fiche jointe). Se basant sur ce qu'il a lui-même vu lors de son long séjour aux tranchées, JEAN NORTON CRU prévient le lecteur de Barbusse que les cadavres, dans la très grande majorité des cas, étaient couchés sur le ventre, position du soldat dormant au repos, bien moins spectaculaire que celles des macchabées de Barbusse mais bien plus courante. JEAN NORTON CRU revient aussi sur l'image très répandue des flots de sang : il rappelle au bon sens et explique simplement que le sang était le plus souvent absorbé par la terre, que fréquemment la terre emplissait les blessures et jugulait les hémorragies, et enfin que toute blessure n'entraînait pas un déversement de sang. [...]
[...] Poilu, engagé sur le front de la mi-octobre 1914 à février 1917, Jean Norton Cru a participé à la bataille de Verdun en juin 1916 et janvier 1917. Il dut à son bilinguisme (sa mère est anglaise, son père ardéchois) d'être alors affecté à l'arrière, d'abord comme traducteur puis comme formateur d'interprètes avant de partir en mission aux Etats-unis. Jean Norton Cru avait rejoint la France après le déclenchement des hostilités, répondant simplement sans hésitation à son ordre de mobilisation. [...]
[...] Son témoignage et sa critique des témoignages a un but bien clair et jamais dissimulé : éviter le retour de la guerre. Norton Cru est un pacifiste chrétien et ne le cache pas, et ce dès le temps de la guerre. En janvier 1917 il écrit depuis Verdun : Si nous avons encore la guerre au XX siècle, c'est parce que les hommes ont trop entretenu cette fameuse beauté du carnage. Nous devons tous dire culpa', et non constamment culpa' Son idée est simplement d'éviter le retour de la guerre en cessant de répandre des mensonges sur son compte et en la montrant telle qu'elle est. [...]
[...] En effet Témoins a été republié en 1993 par les Presses Universitaires de Nancy. Jean Pierre Rioux dans un article du Monde (19/03/1993) saluait la republication d'« un grand, un très grand livre, à la hauteur de la catastrophe dont il procède». Cette somme critique ce livre maître comme le définissait Antoine Prost dans sa thèse monumentale sur les anciens combattants. Le livre avait toujours été précieusement utilisé par les historiens, y compris Audoin-Rouzeau, comme outil de travail. Pourtant Péronne ne l'accueillit pas avec le même enthousiasme. [...]
[...] C. PROCHASSON, Les mots pour le dire : Jean Norton Cru, du témoignage à l'histoire», Revue d'histoire moderne et contemporaine, octobre- décembre 2001. Il dénonce la conception intégriste de la vérité historique chez Norton Cru sa logique comptable qui eut peut-être quelques échos dans les extravagants calculs de Paul Rassinier. [...]
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