Clastres a donné à ses travaux l'étiquette de « nouvelle anthropologie ». Si ce terme reste, volontairement peut-être, fort peu explicite, c'est que l'intérêt majeur de l'œuvre est ailleurs, c'est-à-dire dans son caractère de rupture radicale avec l'ethnologie classique. Ainsi, nous nous demanderons en quoi, par le biais d'une étude des sociétés primitives, La Société Contre l'Etat, paru en 1972, constitue une innovation et quel est l'apport de cette analyse à une réflexion sur nos sociétés modernes.
Dans un premier temps, Clastres rejette les visions ethnologiques traditionnelles relatives aux sociétés primitives en opérant une véritable « révolution copernicienne ». Et cette nouvelle conception à propos des sociétés dites « sans Etat » permet de nourrir une réflexion sur les origines de l'Etat, remettant en cause d'autres paradigmes, notamment les théories marxistes...
[...] La Société contre l'Etat Pierre Clastres consacra la majeure partie de son œuvre à la question des rapports entre la société primitive et le pouvoir. Sa thèse s'appuie sur une lecture refondatrice de l'ethnologie à travers la volonté réformatrice de créer une véritable anthropologie politique. Le caractère atypique et novateur de son œuvre échappe à toute incorporation dans les clivages habituels de l'ethnologie. Miguel Abensour qui lui a consacré une étude, ne tente de cerner Clastres que par des propositions négatives : il n'est pas structuraliste, mais ne rejette pas Lévi-Strauss, il n'est pas marxiste mais ne rejette pas Marx. [...]
[...] C'est donc l'autorité de la hiérarchie que ces sociétés vont chercher à contrer. Pour qu'une modification par la base économique ait lieu, il aurait fallu que la société primitive se modifie par une accumulation des biens, par la force qui l'y oblige, donc l'oppression politique. L'accumulation pose donc une origine extérieure et non la lente réalisation des conditions socio-économiques de l'apparition de l'exploitation. Or, nous avons vu précédemment que la propriété privée est refusée (interdit d'inégalité ainsi que l'émergence d'un pouvoir politique séparé. [...]
[...] La Boétie est le premier à remettre en cause l'Etat et montrer qu'autre chose est possible. Il enjoint déjà à se garder d'un certain ethnocentrisme au moment où on commence à peine à découvrir les indiens et trois siècles avant l'anthropologie évolutionniste qui érigera cet ethnocentrisme en un principe méthodologique fondamental. La Boétie nomme Malencontre ce mot où la société de liberté passe à l'état de servitude (l'Etat). Il introduit l'idée de volonté : la liberté est volontaire, la servitude aussi. [...]
[...] Le chef n'a que du prestige (ce qui diffère d'un pouvoir effectif) et des devoirs : l'obligation de générosité, de donner des biens économiques aux membres de sa tribu et obligation de la parole due à sa fonction de pacificateur (la parole comme opposé à la violence, un discours qui est vide, c'est une garantie qu'il ne devienne pas homme de pouvoir). Il doit faire ce que l'on attend de lui, sinon il sera destitué. Le chef peut maintenir son statut moyennant cette dépendance. [...]
[...] La société choisit d'instaurer un chef mais pour lui dénier toute puissance effective. C'est un contrôle étroit et jamais la société ne tolèrera que son chef se transforme en despote. Il y a dans ces sociétés une volonté de préserver un ordre social, une unité, une homogénéité en interdisant l'émergence d'un pouvoir politique individuel, central et séparé (l'éternelle reproduction). De plus, leur culture pose un interdit d'inégalité à valeur de loi primitive, véhiculé lors des rites initiatiques des jeunes gens de la tribu par le biais de la torture. [...]
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