Pierre Clastres (1934-1977) est un ethnologue et anthropologue français qui s'est principalement intéressé aux sociétés d'Amérique du Sud et notamment aux Indiens Guayaki du Paraguay (il a notamment écrit Chronique des Indiens Guayaki). Il se situe dans la mouvance socialiste de Mai 68. Il étudie l'anthropologie politique et son œuvre s'inscrit dans la continuité de celle de la Boétie et du Discours de la servitude volontaire, il s'intéresse ainsi aux rapports qu'entretient la société avec la notion d'État.
Dans La société contre l'État, il analyse le pouvoir dans les sociétés primitives d'Amérique du Sud et s'interroge sur le fondement et l'organisation du pouvoir politique. Au-delà de cet objectif principal se dissimule un second. L'auteur s'attache en effet à remettre en cause nos préjugés, nos idées reçues sur ces sociétés, résultat d'une vision occidentale et ethnocentriste, ce qui confère à l'ouvrage un intérêt particulier. Deux citations permettent d'éclairer cette seconde visée de l'auteur. Il explique d'abord que « l'image traditionnelle de l'Amérique du Sud (…) illustre particulièrement bien ce mélange de demi-vérités, d'erreurs, de préjugés, qui conduit à traiter les faits avec une légèreté surprenante », et affirme un peu plus loin que « la question n'es point tant de savoir dans quelle mesure tout cela est vrai, mais plutôt de mesurer à quel point c'est faux ».
[...] Si les sociétés sans État ne doivent pas être considérées comme des embryons de sociétés suivant une logique évolutionniste, il n'en demeure pas moins que les sociétés à État n'ont pas toujours été des sociétés à État, tous les peuples civilisés ont d'abord été sauvages Dès lors, la question du fondement de l'État reste entière. L'État n'a pas pu émerger de la chefferie puisque le chef n'a pas d'autorité. La seule source possible est le seul champ qui échappe au contrôle de la société : la démographie. Les sociétés primitives sont des sociétés restreintes. Lorsqu'elles grandissent, l'État s'impose de par la nécessité d'une unification plus large que celle permise par le chef de la tribu. [...]
[...] Donc pour résumer, la société offre au chef ses femmes, et en contrepartie il lui offre des biens et des mots, ce qui correspond à l'idée d'une société fondée sur l'échange. Mais cet échange est profondément inégal, car jamais la valeur les biens qu'il est capable d'offrir n'égaliseront la valeur des femmes. L'échange réciproque étant constitutif de la société, l'impuissance de la fonction politique trouve son fondement dans le rejet à l'extérieur de la société qu'engendre cet échange inégal. La société a besoin du politique pour son activité unificatrice, car la mission du chef est de pacifier la société, de résorber les conflits, d'arbitrer, mais le politique doit être extérieur à la société parce qu'il est perçu comme une menace. [...]
[...] Remise en cause de notre vision de l'économie La vision occidentale de l'économie primitive : l'économie de subsistance Pour remettre en cause notre vision ethnocentriste, l'auteur reprend le concept de l'économie de subsistance caractéristique des sociétés primitives, qui renvoie, dans la vision occidentale, à l'idée d'un certain misérabilisme Les individus seraient ainsi contraints à passer leur vie à travailler sans pouvoir produire de surplus, du fait notamment de leur infériorité technologique Le refus du travail est-il un signe de paresse ? Mais il apparaît en fait que si ces sociétés produisent ce dont elles sont besoin et non plus, c'est parce qu'elle accorde une place importante aux loisirs et ne travaillent en définitive que peu. Elles pourraient, si elles le souhaitaient, produire plus en travaillant plus, mais ne le font pas. Mais comme l'un des axiomes de la société occidentale postule qu'il faut travailler, on voit ce manque de travail négativement . [...]
[...] Conclusion et transition : une société sans pouvoir coercitif n'est donc pas une société sans pouvoir politique. D'autre part, le pouvoir politique trouve à s'exprimer dans des traits pouvant apparaître, à première vue, comme étant strictement sociaux. Certaines caractéristiques sociales pouvant apparaître comme apolitiques sont en fait politiques L'exogamie pacifie les rapports entre sociétés L'exogamie quasi systématique de ces communautés n'est pas une simple pratique sociale, mais le "moyen de l'alliance politique" avec les autres communautés. Ces sociétés sont ainsi travaillées par une dynamique politique réelle. [...]
[...] La vision occidentale : les sociétés sans État comme sociétés embryonnaires Idée d'un évolutionnisme : l'anthropologie, pour qualifier le pouvoir politique de ces sociétés, va par exemple parler de pouvoir politique embryonnaire naissant, peu développé, sous-entendu pas encore parvenu au niveau des sociétés occidentales. La volonté de ne pas avoir d'État ne marque pas nécessairement un manque L'État, c'est la relation de pouvoir. Les sociétés primitives refusent cette relation de pouvoir. De ce fait, si les sociétés primitives sont des sociétés sans État, c'est parce qu'il s'agit de sociétés de refus de l'État et non des sociétés auxquelles manquerait un État. Pourquoi ce refus de l'État ? [...]
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