L'objet de cet ouvrage est de comprendre et d'expliquer le rapport des citoyens ordinaires (c'est-à-dire des profanes, par opposition aux professionnels du champ politique) à la politique. Inutile de préciser que l'approche de cette question, de ce rapport entre politique et citoyens ordinaires, est scientifique. Or on a vu que l'un des critères de la sociologie en tant que discipline à prétention scientifique, définie par Durkheim dans les règles de la méthode sociologique, était de rompre avec le sens commun.
C'est pourquoi on peut parler d'un ouvrage militant au sens de la science qui dérange, théorisée par P. Bourdieu dans questions de sociologie.
C'est donc ce que va entreprendre D. Gaxie dans cet ouvrage, et c'est pourquoi, il commence par rappeler ce qu'est le sens commun sur la démocratie, qui est aussi ici une conception forgée par les dominants pour mieux asseoir leur domination: "toute voix obtenue est considérée comme une approbation des principes fondamentaux de son bénéficiaire"(p.10) ou encore : « Le vote s'analyse comme l'énonciation d'une opinion politique et l'expression d'une préférence pour un candidat ou un parti est la marque d'un assentiment à ses positions » (p.11). Ces postulats démocratiques ne sont pas propres aux seuls hommes politiques. Ce postulat, qui est ici aussi un sens commun, se forge au travers d'interactions entre les professionnels de la politique, les médias et notamment les commentateurs de la vie politique, ainsi que certains politologues.
En d'autres termes, le sens commun du rapport qu'entretiennent les citoyens ordinaires à la politique, c'est l'idée selon laquelle un électeur lorsqu'il vote exprime une opinion politique en affinité parfaite avec celle de son bénéficiaire, le candidat. L'objet de cet ouvrage, c'est de déconstruire cette idée et d'en montrer les implications sur l'ordre social et politique.
[...] (p.207-208) Après avoir mis en exergue les raisons de l'abstention, qui renvoie aux critères de la politisation, étudiée plus en profondeur précédemment, il convient à présent d'expliquer les facteurs sociaux à l'origine d'une participation électorale différenciée selon les agents sociaux. On retrouve ici les mêmes relations que celles observées pour la politisation. Ainsi, le vote dépend principalement du niveau d'instruction, et par conséquent, on observe que la participation électorale varie avec la catégorie socioprofessionnelle : la hiérarchie des taux de participation reproduit à peu près la position occupée dans la hiérarchie sociale. [...]
[...] Dans ces configurations, contrairement à ce que peuvent dire les commentateurs politiques, ce n'est pas que les électeurs prennent conscience de l'importance des élections, et des pouvoirs qu'elles offrent à ceux qui les remporteront, mais le taux de participation s'explique bien plus par la mobilisation sociale qu'engendre les élections, notamment par le biais des partis politiques qui se livrent concurrence pour occuper l'espace public, qui activent leur système d'action et leurs différents réseaux (on peut penser à l'initiative d'Yves Jego pendant la campagne qui avait invité les sympathisants de Nicolas Sarkozy a organiser des apéritifs entre amis, voisins pour parler de la campagne présidentielle). Cette analyse est confirmée par l'étude de C. Braconnier et J.-Y. Dormagen sur l'abstention (la démocratie de l'abstention). [...]
[...] Le "Survey research center" de l'université de Michigan a montré à partir de 6 grandes enquêtes entreprises aux États-Unis de 1952 à 1964 que parmi les indicateurs de l'appartenance de classe, le niveau d'instruction est toujours le plus fortement corrélé avec les variables de politisation. "Les classes sociales sont inégalement politisées parce qu'elles sont inégalement scolarisées." (p.159). Toutefois, l'analyse empirique révèle qu'à niveau d'instruction égale, le niveau de politisation varie significativement avec la catégorie socioprofessionnelle. C'est pourquoi, on peut conclure que la politisation est déterminée par l'appartenance à un milieu culturel. Le niveau d'instruction scolaire devant alors être considéré comme une mesure approximative mais déterminante du niveau culturel. [...]
[...] En somme, il n'y a pas d'objectivité d'une idéologie. Les idéologies des partis en elles-mêmes ne disent rien, elles peuvent être lues différemment selon la position qu'occupent les agents sociaux dans le monde social (cf. Weber sur les religions universelles), tout au plus elles tentent d'objectiver des groupes sociaux. Cette critique n'enlève rien à l'apport majeur de cet ouvrage que l'on peut résumer ainsi : les agents sociaux ne prêtent pas tous la même attention à la politique, parce qu'ils ne sont pas tous aussi compétents politiquement. [...]
[...] On peut ici établir un parallèle entre le fonctionnement du champ religieux (cf. P. Bourdieu, genèse et structure du champ religieux) et celui du champ politique. Dans le champ religieux sont en concurrence des producteurs de biens du salut, qui adaptent leur offre aux groupes sociaux qui composent la structure sociale c'est-à-dire que les clercs vont s'efforcer de fournir des représentations du monde pour les groupes sociaux extérieurs au champ, les profanes. Selon Bourdieu, le champ religieux reproduit de manière homologique la structure sociale dans sa totalité, c'est-à-dire que les producteurs de biens du salut qui fournissent des messages pour les dominants occupent une position dominante dans le champ religieux, à l'inverse les producteurs de biens du salut dont les messages s'adressent aux groupes dominés occupent une position dominée dans le champ religieux. [...]
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