Rien d'étonnant donc à ce que des historiens se soient penchés sur le souvenir de la Seconde Guerre Mondiale. Dans tous les pays d'Europe, à part peut-être la Grande-Bretagne, la guerre de 1939-1945 a été aussi une guerre civile, or les conflits internes aux sociétés sont de ceux qui laissent le plus de traces dans la mémoire collective. Ainsi le régime de Vichy a-t-il engendré une mémoire particulièrement conflictuelle. Au souvenir traumatique de la défaite de 1940 et de l'Occupation se sont ajoutés les marques laissées par les déchirements internes à la société française, le questionnement sur la part de responsabilité dans le génocide, ainsi que les séquelles de l'épuration. C'est donc moins la guerre, l'occupation étrangère et la défaite qui rendent difficile la réconciliation des français avec leur histoire, que la guerre civile, l'instauration du régime de Vichy, ses actes et l'influence du Maréchal Pétain. L'affrontement entre plusieurs mémoires collectives – mémoire des prisonniers de guerre, des résistants, des déportés politiques, des déportés raciaux, des requis du STO – a généré des refoulements et des oublis, parfois organisés par la mémoire officielle. Pour Henry Rousso, la mémoire de la Seconde Guerre Mondiale en France se caractérise par le « syndrome de Vichy », c'est-à-dire « l'ensemble hétérogène des symptômes, des manifestations, en particulier dans la vie politique, sociale et culturelle, qui révèlent l'existence du traumatisme engendré par l'Occupation, particulièrement celui lié aux divisions internes, traumatisme qui s'est maintenu, parfois développé, après la fin des évènements ».
Le mythe résistancialiste a permis un temps de gérer cette mémoire conflictuelle, de refouler cette guerre franco-française. Pour Henry Rousso, qui invente le concept, le résistancialisme « désigne un processus qui a cherché : primo la marginalisation de ce que fut le régime de Vichy et la minoration systématique de son emprise sur la société française, y compris dans ses aspects les plus négatifs ; secundo, la construction d'un objet de mémoire, la « Résistance », dépassant de très loin la somme algébrique des minorités agissantes que furent les résistants, objet qui se célèbre et s'incarne dans des lieux et surtout au sein de groupes idéologiques, tels les gaullistes et les communistes ; tertio, l'assimilation de cette « Résistance » à l'ensemble de la nation, caractéristique notamment du résistancialisme gaullien. »
La construction puis la remise en cause du mythe résistancialiste sont le fruit de deux phénomènes en interaction. D'une part, la demande sociale en matière de mémoire de la Seconde Guerre mondiale évolue, d'une volonté d'oubli et de renouveau après guerre à un questionnement sur le passé et un besoin de vérité à partir des années soixante-dix. D'autre part, le succès du résistancialisme résulte d'un travail d'imposition de la mémoire résistante gaullienne – surtout – et communiste – aussi – comme mémoire officielle, au détriment d'autre mémoires de groupes, la mémoire juive notamment, dont le réveil dans les années soixante-dix contribuera à remettre en cause le mythe.
[...] Le résistancialisme suit l'évolution du syndrome de Vichy tel que dégagée par Henry Rousso. Il peine à s'imposer pendant la IVème République, alors que le deuil de l'Occupation peine à se faire, notamment à cause d'une épuration manquée, et que la Seconde Guerre mondiale devient un réservoir de références dans lequel puisent les différentes formations politiques pour s'imposer dans la vie politique de l'après-guerre. Édifié dès 1940, le mythe résistancialiste s'impose comme mémoire officielle avec la Vème République gaullienne, répondant à un besoin de la société française de renouveau, de grandeur, d'oubli des divisions internes du passé, et allant de pair, en politique extérieure avec la réconciliation franco-allemande et la création de la Communauté européenne. [...]
[...] Henry Rousso, Le syndrome de Vichy, de 1944 à nos jours, Seuil (2ème éd.), op. cit. Henry Rousso, Le syndrome de Vichy, de 1944 à nos jours, Seuil (2ème éd.), op. cit. ; Robert Franck, La mémoire empoisonnée in Jean-Pierre Azéma, François Bédarida (dir.) La France des années noires, Tome De l'Occupation à la Libération, op. cit . [...]
[...] Delporte, Christian, La Résistance dans la propagande gaulliste. Discours et images in Bernard Lachaise (dir.), Résistance et politique sous la IVème République, Presses Universitaires de Bordeaux Franck, Robert, La mémoire empoisonnée in Jean-Pierre Azéma, François Bédarida (dir.) La France des années noires, Tome De l'Occupation à la Libération, Paris, Seuil Paxton, Robert O., La France de Vichy, 1940-1944, Paris, Seuil (nouvelle édition). Rousso, Henry, Le syndrome de Vichy, de 1944 à nos jours, Seuil (2ème éd.). Rousso, Henry, Conan, Eric, Vichy, un passé qui ne passe pas, Fayard Wierviorka, Olivier, Le poids de la Résistance dans la vie politique de l'après-guerre : réalité ou illusion rétrospective? [...]
[...] Avec la Guerre froide, l'anticommunisme domine la vie politique française, et permet à une droite discréditée de revenir sur la scène politique. La mémoire vichyssoise trouve dans la critique de l'épuration un moyen de délégitimer la Résistance : c'est le résistantialisme La légende noire de l'épuration est lancée - on parle de près de exécutions, soit dix fois plus que la réalité qui vise à décrédibiliser la résistance, en particulier communiste. Par opportunité politique le RPF doit affronter de nouvelles élections législatives en 1951 De Gaulle cherche à rassembler l'électorat de droite en ménageant le souvenir de Pétain. [...]
[...] Le réveil de l'identité et de la mémoire juive entraîne une focalisation du souvenir de la Seconde Guerre mondiale sur la Solution finale, au détriment du souvenir résistant, et a pour conséquence une série d'inculpation pour crimes contre l'humanité, qui pousse la mémoire collective à s'interroger sur les responsabilités du régime de Vichy dans le génocide. La mémoire juive contribue ainsi à la remise en cause du mythe résistancialiste. Elle est accompagnée en cela par un bouleversement historiographique. C La révolution paxtonienne de 1973 Les historiens influent aussi sur la mémoire collective. [...]
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