Publié en 1995, l'essai de Bernard Manin intitulé Principes du gouvernement représentatif explique pourquoi, à l'origine fondée sur le sort, la démocratie se métamorphose peu à peu à travers l'utilisation de l'élection pour devenir représentative et perdre par la même occasion sa force initiale : celle de laisser le peuple régir la politique. Spécialiste de la pensée politique, l'auteur revisite pour cela l'Histoire et développe une théorie personnelle : le système représentatif combine des éléments démocratiques et aristocratiques qui accordent au terme de « démocratie directe » utilisé pour décrire le régime athénien la dimension de pléonasme. En effet, les Grecs voulurent simplement accorder le pouvoir au peuple, l'épithète qui suit le nom de démocratie dans notre langue reflète donc uniquement une distinction certaine entre deux réalités. Reste à savoir pourquoi, selon le politologue, le sort laisse désormais la place à l'élection et à expliquer le caractère aristocratique des démocraties modernes.
[...] En théorie, cette idée peut aisément se justifier, mais en réalité, elle peut paraître trop restrictive et avantage les citoyens déjà au pouvoir. Restrictive quand on sait par exemple que le Front national, parti représentant 20% des intentions de vote à quelques mois des présidentielles, lutte encore pour assurer sa présence dans la phase finale de la compétition. Avantageuse pour les élus, car, comme bien souvent, une majorité nette se dégage des suffrages présidentiels et législatifs, les maires déjà en fonction partagent donc un même intérêt : celui de parrainer le candidat enclin à les représenter pour avoir des chances de rester à leur poste. [...]
[...] Si le choix de Bernard Manin peut susciter la contestation, c'est parce qu'alors qu'il se propose de revisiter le lien démocratique avant et après la chute du tirage au sort, il omet de préciser de nombreux éléments. Ainsi, mentionnant la participation de plus en plus active d'un électorat flottant, le livre ne parle pas du désintérêt croissant des citoyens en vers la politique, celui-ci étant concrétisé par l'abstention, un débat partisan pauvre et artificiel ainsi qu'une impression d'incompréhension entre élus et représentée. Pourtant, ces observations semblent confirmer le fait que l'écart se creuse entre représentants et citoyens par l'utilisation de l'élection, mais ils mettent en relief une autre vérité. [...]
[...] Dès lors, alors que soi-disant la liberté de l'opinion empêche une substitution totale entre représentants et électeurs, si les citoyens ne remplacent pas le pouvoir équitable d'administrer la Cité comme en Grèce antique par un sursaut de liberté, la démocratie représentative se veut bel et bien aristocratique, confiant le pouvoir à des élites trop loin du peuple qui, malgré l'expression de son opinion, n'entend l'écho qu'il voudrait de la part des élus et se désintéresse peu à peu de cette activité qui formait selon les Grecs une des formes les plus hautes de l'excellence humaine. Toutes ces considérations ne contredisent pas le travail de l'auteur, mais visent à appréhender la question avec un regard nouveau. [...]
[...] Dès lors, ces auteurs réfléchissent la rupture ayant amené au triomphe de l'élection ; désormais, consentement et volonté constituent la source de l'autorité légitime comme le dit Bernard Manin. Or, cette idée offre un renouveau au débat entre les deux mécanismes puisque, l'élection légitime le pouvoir et le répartit là où le sort ne peut qu'assurer la sélection des représentants. Ainsi, ce principe reflète une différence majeure : alors qu'auparavant l'aspect égalitaire de la procédure primait, désormais, seul le fait que le peuple donne son consentement à travers celle-ci importe. [...]
[...] Certes, cette idée peut paraître relativement abstraite, mais les faits aident à l'accréditer : à en croire Bernard Manin, seul le cens d'éligibilité restreignait la nomination de citoyens ordinaires, or, depuis sa disparition, les représentants semblent d'autant plus supérieurs à leurs électeurs que cette différence de talent se fige désormais sur le niveau de qualification, ce qui entraine un allongement de la durée d'études des élus. Par exemple, de nos jours, Olivier Besancenot, un des rares politiques français pouvant se vanter de ses origines populaires et ordinaires, reste à l'écart du débat, considéré comme un marginal indépendamment de son appartenance politique et ne suscitant pas l'adhésion des citoyens. En clair, l'évolution de la fonction d'homme politique et la complication des affaires expliquent tout autant que l'élection le bénéfice accordé aux candidats supérieurs. [...]
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