Corey ROBIN, théoricien de la vie politique américaine, journaliste et professeur de sciences politiques au Brooklyn College propose dans son ouvrage La Peur. Histoire d'une idée politique, qu'il publie en 2004 et qui sera traduit deux ans plus tard en français, une analyse originale de l'idée de peur en sciences politiques. Originalité d'abord dans sa méthode puisqu'il combine approche historique et philosophique et analyse des pratiques sociales américaines. En effet, il s'appuie d'abord sur les théories fondamentales en sciences politiques pour comprendre comment s'est forgée l'idée de peur et surtout pourquoi nous la pensons ainsi. Il applique ensuite ces théories par le biais d'une observation précise et minutieuse de la société américaine pour dévoiler la nature et les causes véritables de la peur comme levier universel de pouvoir. Par cette enquête sociale, il montre la « partie cachée » de la peur et va à l'encontre des théoriciens qui affirmaient la peur comme impulsion à l'émergence d'un ordre politique ; en somme, il démantèle l'idée de peur comme énergie « positive » et nous présente la peur comme création politique et surtout comme instrument de domination. Selon lui, la peur n'est pas seulement instrumentalisée par les Etats totalitaires ou par des partis politiques comme l'extrême-droite, comme nous avons tendance à le penser, mais est présente au quotidien dans le fonctionnement et la vie quotidienne de nos démocraties libérales.
Ainsi, la réflexion de l'auteur sur l'idée de peur consisterait à résoudre ce paradoxe :
Comment la Peur dans nos sociétés libérales, fondées sur les principes de liberté et défendant la démocratie, peut-elle encourager la répression des opinions et des comportements politiques divergents ?
[...] Elle est au contraire une véritable construction politique ayant pour objectif de servir les personnalités au pouvoir. Cette construction de la peur qui peut être externe (la menace terroriste et interne (le désordre des manifestations) correspond à une politique de la peur pour employer l'expression de l'auteur (p301) correspond à des raisons tenant à l'intérêt et à l'idéologie (p302). L'auteur sous entend alors que la société américaine est régie par la peur et que les ripostes contre l'ennemi extérieur Al Qaida sont légitimées par cette même peur. [...]
[...] Il est intéressant de penser la peur pour elle-même comme légitimation des politiques mises en place dans nos sociétés : attaque vers l'extérieur, peur du Rom à l'intérieur des frontières françaises En effet, cette question est tout à fait actuelle et cet ouvrage semble fondamental pour le citoyen aujourd'hui. Effectivement, la théorie d'une construction par les élites, sur le socle de la peur, d'une répression sociale, politique et parfois symbolique peut s'exporter dans n'importe quel pays dit libéral Cet ouvrage permet de repenser le libéralisme dans son fondement même, dans son application quotidienne et d'apporter une critique constructive du monde du travail libéral. [...]
[...] Si cette idée est une construction, il est donc possible de la déconstruire, de l'éliminer et de l'exclure de la société américaine, et donc de nos sociétés libérales modernes. La peur, selon lui, ne doit pas être le fondement des démocraties. Il faut refonder nos sociétés sur des arguments positifs, davantage sur un summum bonum et non plus en contre un summum malum pour reprendre l'expression de Judith SHKLAR. La recherche de la liberté ou du bonheur peuvent, selon lui, tout à fait constituer les fondations et le ciment de nos sociétés démocratiques. [...]
[...] La peur est ainsi une entreprise collective. Les élites, minorité possédant le pouvoir, sont les personnes à qui sèment en amont la graine de la peur et qui, en aval, en récoltent les fruits. Elles mettent en place des mesures de répression directes et immédiates sur les populations appartenant aux classes inférieures de la société, mesures renforcées par l'autorité de la loi et les idéologies, que ces élites contrôlent. A travers leur propre prisme, elles régissent les peurs de la société face à l'extérieur en choisissant les dangers qui doivent être pris au sérieux (p218) pour, encore une fois, en obtenir les plus grands bénéfices. [...]
[...] Le combat entre les élites et les victimes est forcément inégal et perdu d'avance. L'Etat fragmenté au service de la peur Corey ROBIN remet en question l'idée selon laquelle la peur se développerait uniquement en dehors de la Constitution, des principes libéraux de séparation des pouvoirs et d'autorité de la loi. La séparation des pouvoirs a des effets pervers, c'est ce que l'auteur démontre avec l'exemple des commissions du Congrès pendant la Guerre Froide composées de minorités parlementaires et gérées par des directeurs libres de mener des enquêtes sur l'infiltration communiste auprès de l'exécutif et de la société civile. [...]
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