L'ouvrage d'Olivier Masclet, La gauche et les cités, « enquête sur un rendez-vous manqué » (La Dispute, 2006, 2e édition) porte sur la relation entre la « gauche », en particulier le Parti communiste français (PCF), et les jeunes d'origine immigrée issus de la deuxième vague d'immigration, dans sa grande majorité nord-africaine. A partir d'une ethnographie de la ville de Gennevilliers, et spécifiquement du quartier HLM du Luth, qui regroupe 3200 logements en 15 tours et barres, l'auteur défend la thèse d'un « rendez-vous manqué » entre l'équipe municipale communiste et les jeunes militants associatifs qui s'impliquent fortement dans l'animation de leur cité au cours des années 1980. Fruit d'une enquête de dix ans, tout au long des années 1990, ce livre s'inscrit dès l'introduction en faux par rapport au mythe et aux représentations communes de banlieues assimilées à la drogue, à la violence, à l'insécurité, véritables zones de non-droit en pleine déréliction sociale.
La force de l'analyse repose sur l'imbrication permanente de l'analyse historique d'une ville ouvrière, symbole de la banlieue rouge et tenue par le PCF depuis l'Entre-deux-guerres, et de la connaissance du terrain, tant par entretiens que par observation participante.
[...] Dans ce contexte de montée radicale des tensions, enquêter dans ces quartiers est une entreprise complexe et délicate. Certes, l'insertion forte de l'auteur dans un réseau d'interconnaissances, ainsi que son travail temporaire d'animateur au coeur même de la cité, sont des atouts non négligeables pour l'enquête ethnographique ; néanmoins, ils limitent également son travail en compliquant les relations avec une mairie communiste méfiante, en repli idéologique et face à de grandes difficultés d'appréhension des nouveaux problèmes sociaux et urbains. La présence d'un 1 chercheur dans ces espaces de relégation est aussi, pour les jeunes de ces quartiers, la marque visible du stigmate, et cristallise le sentiment d'exclusion, renvoyant l'image de la réussite face à l'abandon de nombreux jeunes, et entraînant rapidement le repli sur soi face à l'opprobre collectif et aux représentations communes. [...]
[...] Craignant une montée des communautarismes et la sanction du vote FN, la municipalité se cantonne alors à reprendre sans l'avouer des mots d'ordre toujours plus sécuritaires. Les élus, inquiets de la prise de possession des lieux toujours grandissante par des jeunes particulièrement visibles (du fait de leur nombre) et privés de tout espoir d'accession à l'emploi, ne parviennent pas à donner corps à de nouvelles analyses de la situation, fragilisés également par le long déclin de l'appareil communiste et le départ de militants ouvriers de la première installation au Luth. [...]
[...] Ce déclassement conduit alors les ménages d'ouvriers qualifiés et de professions intermédiaires à quitter les logements, alors que les familles d'immigrés en constituent de plus en plus la clientèle. Prisonnière d'une clientèle captive, conjuguant difficultés judiciaires, économiques et culturelles, contrainte à demander en plus grand nombre les logements HLM, la municipalité échoue alors dans son aspiration à permettre la montée dans la société. La sélection accrue ne parvient pas à endiguer le déclin de ce quartier, tout en conduisant à de nombreuses ségrégations internes (entre Est et Ouest, entre offices privés et offices municipaux etc.), attisant même davantage les tensions entre une population immigrée qui se sent reléguée, des locataires anciens qui voient leur patrimoine perdre toute valeur, et une municipalité sans réponses. [...]
[...] A travers cette thèse, l'auteur met en 4 évidence à une échelle locale l'élévation des droits d'entrée dans la profession politique de ces dernières années, renforçant les profils classiques des classes moyennes au détriment des nouveaux modes de construction du politique. Dans la continuité de ces travaux sur les revalorisations des banlieues, cet ouvrage est donc intéressant par l'analyse à un niveau local des dynamismes existants, du potentiel de ces espaces. L'auteur prend sa place dans cette tradition de la recherche en anthropologie sur les espaces de la relégation : la question de l'exclusion, tant sociale (chômage) qu'ethnique (forte présence de l'immigration, renforcée par les critères d'attribution et de répartition des logements sociaux) ou religieuse est permanente. [...]
[...] Certes, la municipalité finit par intégrer, pour la campagne de 1995, deux candidats du Luth, symbole du nouveau dialogue voulu par le PCF. Les obstacles constatés par Olivier Masclet restent cependant forts : face à cette reconnaissance tardive de la classe immigrée en politique, cantonnée de plus aux responsabilités subalternes à la mairie, les jeunes élites immigrées suivent des parcours variés qui les éloignent progressivement de la gauche. Certains se réfugient dans l'abstention, toujours plus importante, tandis que d'autres se tournent vers des valeurs de droite, la promotion au mérite ou la gestion entrepreunariale, fortement encouragée par des élus départementaux qui ne désirent que la chute des derniers bastions rouges de la couronne parisienne. [...]
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