L'Etat est la grille d'analyse la plus spontanément adoptée pour comprendre le monde, par habitude méthodologique mais aussi parce qu'il reste un espace de référence autour duquel s'articule une grande partie du vocabulaire d'analyse du monde. C'est également une piste d'entrée commode car elle est en apparence la plus lisible. A partir de ce modèle peuvent alors être formulées des analyses relatives à son identité ou à ses attributs. Néanmoins, cette perspective risque fréquemment d'occulter les autres dans une trop forte unicité d'approche qui, si elle reconnaît parfois les échelons local, régional, national, supranational et international, oublie trop souvent le niveau des villes, des réseaux, des grands espaces et du monde, ainsi que la question de leur articulation. La seule logique de la puissance territorialisée est alors insuffisante pour expliquer la complexité du monde.
La logique initiale des relations internationales peut d'abord être analysée à travers les œuvres de Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations (1962), Mémoires (1983) et Les dernières années du siècle (1984). Le premier texte veut incarner une rupture avec l'histoire des relations internationales en vogue auparavant. Le but de l'ouvrage est de formuler une théorie systématique des relations internationales à travers l'analyse historiques des relations interétatiques. Les Etats sont amenés à la fois à la négociation et à la guerre, la primauté de ce cadre de pensée étant réaffirmée par Aron pour expliquer l'organisation du monde. Il évoquera cependant d'autres systèmes à la fin de sa vie, notamment le système économique, les relations centre-périphérie ou encore l'idée de société mondiale, bien que les Etats restent le principal facteur structurant autour des rapports directeurs de paix et de guerre.
L'idée de relations internationales ne renvoie pas à l'idée de nations dans un sens « historique » (communautés de citoyens) mais comme unités politiques : le critère pertinent est alors celui des relations interétatiques. Se pose donc la question de la définition du cadre de ces relations : faut-il inclure les relations entre les individus ainsi que les échanges économiques ? Aron esquive toutefois la difficulté en mettant en avant la difficulté de tracer des frontières nettes pour les sciences humaines. Les relations interétatiques se conçoivent alors dans l'alternative de la paix et de la guerre, de laquelle sont issues la diplomatie et la stratégie. La guerre est définie par von Clausewitz comme un conflit de grands intérêts réglés par le sang qui renvoie plus à la politique (et au commerce) qu'à un art, à l'existence sociale qu'à la science. C'est pourquoi tant qu'il n'y aura pas un seul Etat sur terre, politiques étrangère et intérieure seront foncièrement différentes. La politique, en soumettant les Hommes à la loi, a pour but d'assurer la simple survie des Etats face à la menace des autres, leurs relations se comprenant comme rapports de force dans une sorte « d'état de nature » hobbesien. Cela n'est cependant envisageable que dans la mesure où les détenteurs de la violence légitime se reconnaissent et soient représentés par des agents : sans cette organisation juridique, politiques étrangère et intérieure tendent à se confondre, comme dans le système féodal. Une guerre civile peut vite devenir extérieure si une partie de la population revendique une part de souveraineté. Si un Etat universel se crée, il n'y aura plus de guerres, donc plus de soldats mais seulement des policiers : la notion de relations extérieures ferait alors son retour dans la mesure où des rebelles sécessionnistes vaincraient. L'excès de force est ainsi aussi redoutable que l'excès de faiblesse. Les guerres ayant pour but de faire disparaître des Etats, une philosophie globale de la politique devrait donc englober les relations internationales comme un chapitre traitant de relations entre unités politiques ayant pour vocation de décider seules de combattre ou non.
Dans ses Mémoires, Aron pense cependant ne pas avoir complètement réussi sa démarche, notamment dans la partie sur les « déterminants et régularités ». La formule « survivre, c'est vaincre » lui semble ainsi plus incertaine dans un monde ou les armes nucléaires s'inscrivent dans les rapports interétatiques les plus banals. Si on lui reproche de trop se centrer sur ces rapports interétatiques au détriment du trans, de l'inter ou du supranational, il répond que son traité visait à traiter la guerre et la paix au sens ordinaire (et non figuré comme dans une « guerre des ondes », la logique étatique lui semblant la mieux adaptée pour analyser les relations Est-Ouest.
Dans Les dernières années du siècle, il revient néanmoins sur ces échelles qui dépassent les Etats. Il reconnaît ainsi que le système économique échappe à plusieurs égards au système interétatique, le premier étant certes former en partie par la politique des Etats, mais en prenant corps par la suite à d'autres échelles transnationales, qui traversent les frontières. Tout ce qui renvoie aux idéologies et aux religions ignore également ces frontières (l'Eglise catholique supranationale laisse en effet une grande autonomie aux Eglises locales). L'approche supranationale, observable par exemple à travers l'exemple du TPI, ne convient pas en revanche pour décrire le fonctionnement de l'ONU où les intérêts s'expriment par le vote, la décision dépendant de l'existence d'une majorité. Aron propose alors d'appeler « société internationale » l'ensemble de toutes les relations entre Etats et personnes privées, prenant également en compte l'économie mondiale ainsi que les évènements trans et supranationaux. Il pense néanmoins que ce concept impossible à décrire ne conserve aucun trait d'une société : en ce sens, on ne peut parler d'un système international. Les relations entre Etats doivent alors être analysées dans leur ensemble, puisque tous les Etats appartiennent plus ou moins directement au système interétatique. Il y aurait alors des sous-systèmes dans le système mondial protégés des interventions extérieures. Par la suite, si l'on veut distinguer les économies capitalistes et socialistes, le seul système économique vraiment mondial par son étendue ne peut être que le capitalisme. Enfin, Aron rejette la critique de ceux qui lui reprochent d'étudier les relations internationales à travers les cadres interétatiques du passé, puisque l'alternative guerre et paix a traversé tout le XXème siècle.
Aron peut cependant se voir reprocher une faible spatialité, puisque l'espace n'est considéré que comme milieu, théâtre ou enjeu des relations interétatiques mais jamais comme produit social. Aron fait ainsi l'erreur classique de donner une importance déterministe au milieu (climat par exemple) dans son chapitre De l'espace sans aucune référence à un géographe. Les Etats considérés par Aron seraient donc enfermés dans leur territoire, tandis que sont ignorées les échanges, les relations ainsi que les aires culturelles (c'est-à-dire les rapports sociaux). Sa vision n'est donc pas assez globalisante. Son analyse est aussi marquée par une faible historicité puisque Aron ne prend pas en compte la diversité de l'histoire et de la construction des Etats en les naturalisant dans leurs frontières actuelles. Ses œuvres font néanmoins autorité.
Marcel Merle va alors prolonger et modifier la pensée d'Aron. Ce dernier privilégie le politique comme un parti pris épistémologique. L'interconnexion entre les facteurs limite l'approche hiérarchique et stratifiée d'Aron, de même que l'hypothèse d'un contrôle des flux par les détenteurs du pouvoir politique (il fait de l'Etat un acteur à part entière). Il suppose ainsi que l'Etat en tant que structure prend lui-même des décisions, en négligeant l'influence d'autres agents, les bureaucrates par exemple. Ce caractère « sociologique » du fonctionnement de l'Etat ne remet cependant pas en cause l'alternative fondamentale entre guerre et paix. Merle relève à cela trois objections. La première s'appuie sur la diversité des modèles étatiques qui devrait conduire à partir de l'analyse de ces différences plutôt que de simplement en considérer les aspects extérieurs des Etats (souveraineté …). La seconde porte sur l'unicité supposée de l'Etat assimilé à un agent, de multiples exemples montrant la fragilité des consensus décisionnels (pacifisme …). L'incertitude porte alors davantage sur les évènements possibles à l'intérieur des Etats que sur les rapports entre eux. Enfin, séparer la fonction du sociologue de celle du spécialiste des relations internationales peut sembler discutable. Aron reconnaît alors avoir sous-estimé l'envers sociologique des relations interétatiques. Dans la recherche de la globalité, Merle souligne les clés offertes par Aron, notamment dans sa formule « Guerre improbable, paix impossible, qui définit un domaine d'intelligibilité des phénomènes internationaux. Les rapports de force ne passent en effet pas seulement par la dissuasion nucléaire mais aussi par l'influence, tous les pays défendant leur survie dans un contexte de rivalité bipolaire. Beaucoup d'Etats sont donc davantage des enjeux que des acteurs. Les affaires du dehors et du dedans sont alors inséparables. Cependant, la recherche de globalité doit s'accompagner de l'usage d'outils, d'où la distinction de Merle entre système (relations entre les acteurs) et environnement (facteurs déterminant le comportement des acteurs). Le système ne doit toutefois pas viser à permettre des inductions trop précises.
[...] Michel Foucher insiste lui aussi sur la dimension sociopolitique, et pas seulement territoriale, de la rivalité Est-Ouest, bien que cette dernière soit historiquement la plus répandue dans l'analyse. Il faut donc de nouveaux outils géopolitiques. Foucher rappelle que la géopolitique se détache de l'étude du milieu seul et dépasse la seule analyse des rapports de puissance sur les différentes scènes du monde. Dans sa définition de la géopolitique, même si Pierre Gallois évoque la notion de cadre géographique plus large que celle de milieu, l'idée de puissance et de relations internationales est trop fortement associée à la Guerre Froide. [...]
[...] Les Etats considérés par Aron seraient donc enfermés dans leur territoire, tandis que sont ignorées les échanges, les relations ainsi que les aires culturelles (c'est-à-dire les rapports sociaux). Sa vision n'est donc pas assez globalisante. Son analyse est aussi marquée par une faible historicité puisque Aron ne prend pas en compte la diversité de l'histoire et de la construction des Etats en les naturalisant dans leurs frontières actuelles. Ses œuvres font néanmoins autorité. Marcel Merle va alors prolonger et modifier la pensée d'Aron. Ce dernier privilégie le politique comme un parti pris épistémologique. [...]
[...] Des cartes de naissance des Etats permettent de distinguer des grands périodes de construction : avant 1800 en Europe occidentale, en Russie, en Chine et aux Etats-Unis, de 1800 à 1914 sur les deux Amériques et en Europe centrale, de 1914 à 1945 au Moyen orient et de 1945 à 1990 en 1sie du Sud-est et en Afrique. La construction étatique peut cependant être remise en cause par des facteurs économiques, sociaux et culturels. Après ce processus de construction, le monde devient donc celui des Etats, un monde rigidifié. Le droit national reconnaît seulement le niveau de l'Etat même si l'égalité juridique formelle est une fiction. [...]
[...] La difficulté de penser de cette manière est à l'origine du concept d'altérité : Kissinger souligne ainsi que les rapports entre des sociétés dont la légitimité se veut universelle est exclusive ne peuvent être que conflictuels, ce qui pose problème dans un monde unifié par les marchandises et la communication. Les frontières ne séparent effectivement pas que des espaces ou des Etats mais aussi des temps socioculturel distincts, avec des valeurs différentes, notamment religieuses, mais surtout désynchronisées. La maîtrise du temps ainsi que des flux d'images et de mots est donc aujourd'hui essentielle. La géographie n'est donc pas un acteur mondial mais simplement une description des réalités. [...]
[...] Les rapports de force ne passent en effet pas seulement par la dissuasion nucléaire mais aussi par l'influence, tous les pays défendant leur survie dans un contexte de rivalité bipolaire. Beaucoup d'Etats sont donc davantage des enjeux que des acteurs. Les affaires du dehors et du dedans sont alors inséparables. Cependant, la recherche de globalité doit s'accompagner de l'usage d'outils, d'où la distinction de Merle entre système (relations entre les acteurs) et environnement (facteurs déterminant le comportement des acteurs). Le système ne doit toutefois pas viser à permettre des inductions trop précises. L'Etat est donc réhistoricisé et l'ensemble des acteurs recensés. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture