Michel Winock analyse les rapports entre les Juifs en France et l'Etat ainsi que l'ensemble de la société : il tente ainsi de répondre à une question principale : la France est-elle antisémite ? Quelle a été l'originalité de la relation entre la « communauté historique française » et la « communauté juive » ? Tout au long de l'ouvrage, il nous montre comment les rapports entre les juifs de France et l'ensemble de la société ont évolué depuis leur émancipation en 1791 ; les juifs se sont peu à peu intégrer dans la société française, jusqu'à se sentir citoyen français avant d'être juif : les rapports ont donc été pacifiques, les juifs étant appartenant à la communauté républicaine française. Cependant, face aux grandes mutations du monde moderne au XIX ème siècle, un antisémitisme s'est développé, certes minoritaire, et néanmoins visible. Le Juif a été perçu comme responsable de tous les maux de l'époque, et la thèse du « complot judéo- maçonnique » a servi de complot à l'antisémitisme. Celui-ci est d'ailleurs rapidement devenu un des leitmotiv de l'extrême droite nationaliste, qui, sous l'influence de Barrès ou encore de Maurras, percevait le Juif comme un étranger, de race inférieur que le « Français de souche », le Français catholique. Michel Winock appelle cet antisémitisme « l'antisémitisme des vaincus » : chez les plus conservateurs nostalgiques d'une vieille société patriarcale et catholique, la place des juifs dans la société était vue comme la cause de la « déchristianisation ». Le juif, pour le nationaliste antijuif représentait le monde moderne qu'il rejetait. Le Juif devient alors le responsable de tous les maux ressenti par les différentes parties de la société. Pour le prolétaire et le petit commerçant, il est le capitaliste abhorré ; le Catholique dénonce le complot juif visant à déchristianiser la France au travers des lois républicaines voulues par les Juifs ; les concurrents économiques cherchent à se débarrasser de rivaux entreprenants, et enfin pour le nationaliste, le Juif reste avant tout un étranger qui n'a pas sa place en France, et encore moins aux plus hautes fonctions de l'Etat ou de l'industrie. La thèse du complot judéo- maçonnique se développe et sert de fondement au développement de l'antisémitisme, lié non pas à des raisons religieuses, mais à des raisons économiques : la promotion des juifs dans la société, leur réussite, inspire ainsi des doctrines de haine et de rejet, qui constitue la base de ce que l'on appellera dans les années 1880 l'antisémitisme.
L'affaire Dreyfus peut être considéré comme une acmé de la passion antisémite en France, puis, avec la Grande Guerre et l'Union Sacrée, les juifs qui ont combattu sous les drapeaux français sont peu à peu considéré comme des citoyens français à part entière, l'antisémitisme n'est plus que l'apanage de quelques groupuscules d'extrême droite. Le ciel s'obscurcit par la suite, car dans les années 1930, avec la crise économique internationale, l'antisémitisme redore son blason, tout en restant « économique » et s'inscrivant dans une xénophobie ambiante, liée au chômage persistant de ces années sombres. De plus, on sent l'imminence de la guerre : les Juifs sont une nouvelle fois les boucs émissaires car dans l'imaginaire, se sont eux qui veulent la guerre afin d'asseoir leur domination ; la thèse du complot judéo maçonnique resurgit. Paradoxalement, c'est un juif, Léon Blum, qui, en 1936, devient président du Conseil…
En 1940, Vichy entérine l'« antisémitisme d'Etat » avec les lois sur le statut des juifs en octobre 1940 ; toute l'émancipation de 1791 et l'intégration des juifs est remise en cause par les lois antisémites de Vichy ; après la guerre, les Juifs vont se considérer comme des victimes parmi d'autres de la déportation, dans une perspective d'unité nationale et de reconstruction du pays. Il faut attendre quelques années avant que le souvenir du génocide Juif ne soit rappelé.
[...] On note cependant que l'histoire politique des Juifs en France est marquée par un balancement entre le civique et le civil, entre la sphère privée et la sphère publique, entre la citoyenneté républicaine et l'attachement à des valeurs spécifiques. Dans cette histoire, le particularisme se heurte à l'universalisme. Tout le long du XIXème siècle, les Juifs connaissent une période de tranquillité tout à fait exceptionnelle dans leur histoire selon François Delpech. Ainsi, les Juifs s'ancrent peu à peu dans la société française ; leur situation économique était souvent très précaire, mais durant ce siècle, ils connaissent une ascension sociale sans précédent. Beaucoup entrent dans les grands corps de l'État, notamment l'administration et l'armée. [...]
[...] Le Franco- Judaïsme, une spécificité française due à plusieurs facteurs Ce Franco- Judaïsme apparaît sous la IIIème République, dans un contexte libéral, égalitaire et laïc. Nous avons vu précédemment l'influence décisive qu'avait eu l'universalisme des Lumières sur l'émancipation des communautés juives. Tout au long du XIXème siècle, les Juifs se disent de plus en plus Français avant tout, leur religion n'intervenant pas comme facteur identitaire sur lequel se replier. Ils se considèrent comme des citoyens français, au même titre que les autres ; la société d'égalité civile a réussi à intégrer toute la population française dans son modèle. [...]
[...] Il faut attendre quelques années avant que le souvenir du génocide juif ne soit rappelé. La guerre des Six Jours marque un tournant dans les relations entre les Juifs et l'ensemble de la société française ; ils s'affirment de plus en plus comme une communauté ayant sa propre identité face à la montée d'un antisémitisme se déclinant en un antisionisme : les Juifs de France, dans l'imaginaire commun, sont nécessairement assimilés aux Israéliens et suscitent la haine de certains membres de la minorité arabo-musulmane en France. [...]
[...] Michel Winock, La France et les juifs de 1789 à nos jours Synthèse problématisée Michel Winock analyse les rapports entre les Juifs en France et l'État ainsi que l'ensemble de la société : il tente ainsi de répondre à une question principale : la France est-elle antisémite ? Quelle a été l'originalité de la relation entre la communauté historique française et la communauté juive ? Tout au long de l'ouvrage, il nous montre comment les rapports entre les juifs de France et l'ensemble de la société ont évolué depuis leur émancipation en 1791 ; les juifs se sont peu à peu intégrés dans la société française, jusqu'à se sentir citoyen français avant d'être juif : les rapports ont donc été pacifiques, les juifs étant appartenant à la communauté républicaine française. [...]
[...] Ces prémisses de la laïcité, principe entériné en 1905 par la loi sur la séparation de l'Église et de l'État, ont permis aux Juifs de faire partie de la nation française dans son intégrité. D'ailleurs, l'affaire Dreyfus a été le paroxysme de cette intégration, car de nombreux intellectuels les dreyfusards se sont élevés pour la révision du procès et la réhabilitation de Dreyfus. En outre, le centenaire de la Révolution est célébré en grande pompe par les Juifs qui commémorent à travers cet événement la révolution libérale, bourgeoise et pacifique. [...]
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