Dans cet article de juillet 2003 publié dans la revue Esprit, le philosophe Paul Thibaud dresse un bilan inquiet de la construction européenne, confrontée à des problèmes qu'elle se trouve incapable de résoudre. Sur la scène internationale, 2003 est une année de mise à l'épreuve pour l'Union Européenne, « interpellée » par les Etats-Unis qui lui demandent de se prononcer sur la politique de lutte contre le terrorisme en s'alignant dans le cadre de la guerre en Irak. Mais juin 2003, c'est aussi, en termes de politique intérieure de l'Union Européenne, l'aboutissement de la Convention sur l'avenir de l'Europe, laquelle met en place le projet de traité constitutionnel.
C'est à la lumière de ces enjeux que Paul Thibaud dénonce l'incohérence de la démarche européenne, qui se poursuit identique à elle-même, quand bien même cette démarche n'a pas fourni selon lui de résultats satisfaisants, ce qui laisse présager de l'échec du projet européen.
Ainsi, il s'attache à montrer les limites de la méthode de la construction européenne qui ne peut que conduire à une impasse tant qu'un projet politique lui fait défaut.
[...] Mais on a aussi, depuis Maastricht, la méthode de l'affichage, la mise en scène d'une grande intention de supranationalité qui recouvre, en particulier au Parlement européen, un faisceau de compromis et d'intrications et non un dépassement des nationalismes. L'incapacité de décider au fond ne concerne pas seulement le caractère fédéral ou coopératif de l'Union, c'est un comportement général, celui d'une institution qui fait d'elle-même son but. L'Europe est-elle par exemple un moyen de préserver les systèmes de solidarité sociale organisés après la guerre ? Ou bien est-elle l'entrée dans une mondialité libre- échangiste qui nous obligera à les modifier radicalement ? L'un et l'autre se disent. [...]
[...] Mais ce vice n'est pas accidentel dans la mesure où sans définition de ce qu'est l'Europe, et donc de ce qu'est l'étranger, l'Union ne peut pas raisonnablement mener de politique étrangère. Et pour Paul Thibaud, l'indéfinition première de l'Europe repose sur l'incertitude de la nature fédératrice de l'organisation européenne, incertitude qui est loin d'être résolue par la Convention, puisque le projet de traité constitutionnel ne modifie quasiment pas les institutions. L'engrenage européen ou comment se construit l'écart entre la théorie et la pratique Dans un 2e temps, Paul Thibaud s'attaque à la méthode européenne proprement dite, celle qui a commandé aux décisions et traités successifs, et qui est restée fidèle à la méthode des Pères Fondateurs. [...]
[...] Nous prendrons ce qu'elle nous donnera. Le fonctionnalisme, la confiance dans un enchaînement des décisions qui a été la manière européenne, nous a appris à confondre l'idéal et la résignation : manquant de l'élan qu'il faudrait pour surmonter les nations, on se persuade que leur effacement est fatal, qu'il se produit inéluctablement. Mais si cette attitude efface les obstacles, elle instille une certaine honte et détruit l'énergie politique dont on aurait besoin pour accomplir ce dont on rêve et qui n'advient jamais vraiment ; immobile à grand pas comme Achille, l'Europe se voue donc à un fédéralisme imminent, en suspend, sans cesse éludé. [...]
[...] L'une et l'autre répondent à différentes conceptions de l'Europe, qui même ne s'accordent pas. En effet, pour Paul Thibaud, les Etats ont confié à l'Europe nécessairement modernisatrice la réflexion sur les systèmes de solidarité, mais l'Europe libérale n'a pas permis d'inscrire les droits fondamentaux sociaux dans le droit positif, et c'est pourquoi selon lui, on est dans un système plus libéral que social. D'ailleurs, cela montre que l'idée continuiste sur laquelle s'est construite l'Europe, n'est pas cohérente, puisque l'Europe du marché est loin d'induire l'Europe politique et sociale. [...]
[...] Et cette culture du compromis montre bien que l'Europe se fait en fin de compte contre la volonté des Etats, les projets sont rabotés par les différentes volontés nationales, et c'est d'ailleurs ce qu'il prévoit pour le projet de constitution européenne, au lieu d'être créés dans un seul élan par une volonté commune. Pour lui, l'Europe se fait à l'envers. Il illustre cette idée de réarrangement du projet européen en fonction des intérêts nationaux en prenant l'exemple classique de l'opposition entre une Europe sociale dont l'objectif serait de préserver les systèmes de solidarité et matérialisée par la Charte des droits fondamentaux de 2000, et une Europe libérale tournée vers le marché unique et le libre-échange à outrance. [...]
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