Lucien Karpik, les avocats en politique, Les avocats. Entre l'Etat, le public et le marché, science politique, ENA, crise économique
Durant ces quatre dernières décennies, l'homme politique « classique » était le titulaire d'un diplôme de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris et de l'Ecole Nationale d'Administration (ENA). Cependant, la classe politique française n'a pas toujours été dominée par des « technocrates ». Les hommes politiques français - diplômés des grandes écoles d'administration- ont supplanté les avocats. En effet, Lucien Karpik, sociologue à l'Ecole des Mines, dans son ouvrage publié en 1995 « Les avocats. Entre l'Etat, le public et le marché » tente de souligner le rôle crucial des avocats dans la construction du libéralisme politique. Pour effectuer un tel travail, l'auteur a effectué de nombreuses recherches en sociologie politique et économique. Il rappelle également la domination des avocats en tant que « professionnel de la politique » pendant le 19ème siècle et plus précisément sous la IIIème République. L'avocat est vu comme le principal défenseur des libertés publiques, si bien qu'il endosse le titre de « porte parole du public ». Il est à même de défendre les causes libérales - auxquelles l'opinion publique reste vigoureusement attachée - notamment par son éloquence et dans sa maîtrise du verbe qu'il manie avec brio. Or, ces qualités et cette place privilégiée qu'il reconnait aux avocats se sont estompées au cours du temps ; la place des avocats dans la société civile procèderait donc de circonstances politiques en cours et de la situation économique. C'est la raison pour laquelle, dans ce chapitre 6 de son ouvrage, Lucien Karpik distingue deux phases quant à la place de la profession d'avocat dans la société : la première phase consiste en une ascension du corps de métier depuis le 19ème siècle et ce, jusqu'au début du 20ème siècle ; et puis, une phase de déclin dans laquelle la profession voit son rôle diminué sur la scène publique. C'est donc par une description chronologique que Lucien Karpik va tenter d'éclairer le lecteur sur le rôle singulier qu'avait l'avocat. Ce chapitre 6 a également pour but de témoigner la solennité d'une telle profession en ce sens où elle est « porteuse » - dans son histoire - d'hommes qui ont permis des avancées sociales et sociétales.
Nous pouvons donc nous demander dans quelle mesure la profession d'avocat se distingue t-elle des autres corps de métier dans la défense des intérêts publics?
Nous nous proposons de montrer dans une première partie une profession capable de témoigner son attache aux idées libérales (I) ; dans une seconde partie, nous évoquerons une profession en déclin suite aux évolutions sociétales du 20ème siècle (II).
[...] Or, dans une République parlementaire qui protège les libertés; la défense politique tombe en déshérence Le rôle des avocats devient alors obsolète. Les institutions de la IIIème République et plus particulièrement son caractère libéral a fait perdre le fond de commerce des avocats. Ces derniers se retrouvent alors dépourvus de leur ancienne aisance matérielle ; leur prestige tombe également en désuétude quand bien même le régime politique de la IIIème République est devenu garant des libertés essentielles. Pourtant, il ne s'agissait pas d'une volonté formelle du régime d'établir des conditions moins favorables aux avocats puisque nombre d'entre eux sont devenus députés et gouvernants Le déclin de ce corps de métier provient également d'une évolution de la société qui a mis en place des organisations susceptibles de les concurrencer. [...]
[...] Cependant, l'évolution de la société : un régime politique devenu suffisamment libéral, la crise économique, et les nouveaux défis du vingtième siècle n'ont pas permis à la profession de poursuivre sa conquête du milieu politique. Néanmoins, la diminution est lente (le président de la République actuel est avocat de formation). L'auteur nous présente une profession dont l'histoire est très ancienne et les réalisations conséquentes. Il rend compte de l'ENArchie actuelle et en explique les raisons. Son récit nous éclaire sur l'importance et l'intérêt qu'on attache aujourd'hui au métier d'avocat. Enfin, il permet de mieux comprendre pourquoi - encore aujourd'hui - la place des hommes de lois est grande dans la classe politique. [...]
[...] Leur degré de libéralité va être modifié à cause de la crise économique et leur qualité d'homme public en charge de la défense des intérêts communs concurrencée A / La crise économique et les institutions politiques responsables de l'évincement des avocats sur la scène publique Grâce à la place qu'ils occupaient dans la société, les avocats étaient considérés comme une élite dirigeante qui jouissait d'un prestige et d'une aisance matérielle Or, ce corps de métier va être miné par la crise économique et politique qui frappe la France. Ils vont connaître le déclassement social L'auteur illustre l'ampleur de la crise économique sur la profession en évoquant l'affaire Dreyfus. En effet, peu d'avocats s'étaient ralliés à la cause dreyfusarde Or, il n'est pas à occulté que la crise économique a été synonyme de difficultés financières pour les avocats. Dans un malheureux lien de causalité, les difficultés économiques font naitre une dose d'antisémitisme. [...]
[...] Cette fascination de l'opinion pour les avocats est exacerbée par l'éloquence et le langage de ces portes paroles du public. Le tribunal devient alors un véritable forum politique Parce qu'ils connaissent l'ordre juridique, la critique qu'ils développent lui donne une redoutable efficacité car elle est selon une logique particulière En effet, à l'époque, la population française a besoin d'être informé de manière intelligible ; par l'intermédiaire des avocats, cela est rendu possible au moment de l'audience du procès. De plus, la profession d'avocat parce qu'elle s'inscrit historiquement dans une fonction de garant ultime face à l'arbitraire et à la violence du pouvoir requiert une sympathie de la presse. [...]
[...] C'est pourquoi, il y eut le développement de nouveaux modes d'expression - les organisations politiques et syndicales - et de nouveaux mandataires : les professeurs, les économistes, les hommes de l'appareil, les démagogues La concurrence est devenue trop forte pour le droit d'autant plus que le développement du secteur tertiaire, des métiers de l'entreprise oblige le droit à affronter le savoir économique En définitive, le droit a été dépassé par l'évolution des sociétés car il ne peut trancher des questions d'ordre sociologique devenues abondantes et exigeantes et accaparés par des structures plus compétentes. La profession d'avocats a donc connu son heure de gloire au 19ème siècle. Le succès de la profession tient aux aspirations libérales des avocats pour lesquelles ils ont milité activement, à un moment où l'histoire leur en a donné plusieurs fois l'occasion. Ils ont su joué de leurs talents et de leur séduction au sein de l'opinion publique. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture