C'est en pleine période révolutionnaire et pour protéger les citoyens d'une répression arbitraire que fut établi le jury français. Dès l'instauration du nouveau système reposant sur des peines clairement définies, une audience contradictoire et publique et des juges choisis au cœur de la société civile ; il a été critiqué notamment car la légitimité démocratique du jugement profane (non professionnel) est fragile et incertaine. Encore aujourd'hui, les jurés sont souvent perçus comme inconsistants, incompétents, cédant facilement à leurs préjugés ou à leurs émotions et aisément influençables par les magistrats.
L'objectif de cet ouvrage de Louis Gruel – chercheur au CNRS – est de montrer que cette image est erronée, que les jurés ne sont pas passivement manipulés et qu'au contraire, ils exercent une véritable influence, cohérente et rationnelle, orientée par des valeurs, sur les décisions pénales. Ils ont, selon l'auteur, une autre façon de juger, une grille de lecture qui leur est propre et une définition de l'homme en société originale. Les deux groupes d'acteurs des cours d'assises : les jurés et les magistrats, appréhendant la gravité des violences de manière différente, ils peuvent avoir des comportements source de conflit. Le but de l'étude est aussi de montrer quel est l'objet de ce conflit et de trouver l'enjeu de l'opposition.
La recherche entreprise par l'auteur se heurte à un obstacle important : l'inexistance de données sur leur indulgence ou leur sévérité, sur leurs décisions puisque les votes de chacun et les délibérations précédant le scrutin restent secrets ; seule est connue une sentence prononcée collectivement qui ne permet pas de déterminer le poids et l'influence des jurés. Pour faire face à cette difficulté, Louis Gruel utilise une méthode reposant sur l'analyse systématique des comptes-rendus de presse, une consultation de dossiers, des interviews de magistrats, des observations d'audience de journalistes spécialisés, avocats et jurés de session ainsi que sur les statistiques du ministère de la Justice. Il contourne ainsi le secret officiel des délibérations.
L'ouvrage est partagé en quatre parties. La première, largement historique retrace les différentes évolutions qu'a connues la fonction de jurés. Elle explique comment les acquittements « scandaleux » ont été à la source de bouleversements de la procédure pénale. La deuxième partie est centrée sur la IIIème République (parce qu'il s'agit de la période durant laquelle les jurés ont eu la plus grande autonomie et donc la période la plus propice à une étude de ses comportements) et cherche à montrer que l'image des jurés suggérée par les œuvres de fiction s'appuie sur des données fragiles et a sans doute été introduite par stratégie politique et économie intellectuelle. La troisième partie concerne l'analyse des procès tenus sous la Vème République et étudie dans ce cadre l'influence des jurés. Elle va chercher à expliquer les comportements des jurés. La dernière partie explicite la conception de l'« homme en société » qui correspond au système de valeur auquel se réfèrent les jurés. C'est la partie qui contient toute la thèse de l'auteur.
Il s'agit de voir quelles ont été les critiques formulées à l'égard des jurés et de réfléchir à leur réalité, de chercher à comprendre pourquoi les jurés jugent différemment des magistrats et enfin, de démontrer que cette manière différente de juger n'est pas liée à un comportement incohérent et passionné mais repose sur un système de valeur cohérent.
[...] Le jury juge donc des personnes tandis que les magistrats jugent des individus. Son influence s'exerce pour rappeler le lien social : elle met l'accent sur la fonction structurante des rôles sociaux. Il fait prévaloir sur les règles du droit, des normes de droiture et se réfère à une échelle de valeurs qui privilégie la bienséance à la préséance, la convenance par rapport au rang. Les jurés apparaissent ainsi comme les garants du lien social et d'une certaine image de l'homme. [...]
[...] Cette analyse des comportements des jurés est intéressante non seulement parce qu'elle renvoie à la manière dont fonctionne le système pénal, mais surtout parce qu'elle illustre la vision que la société civile a du juste et de l'injuste, de ce qui doit être pardonné par rapport à ce qui doit entraîner des châtiments. La portée de l'ouvrage est donc bien plus large qu'une analyse du système judiciaire ; c'est une étude des comportements des citoyens en société et de leur vision de la justice. [...]
[...] Louis Gruel, Pardons et châtiments Les jurés français face aux violences criminelles C'est en pleine période révolutionnaire et pour protéger les citoyens d'une répression arbitraire que fut établi le jury français. Dès l'instauration du nouveau système reposant sur des peines clairement définies, une audience contradictoire et publique et des juges choisis au cœur de la société civile ; il a été critiqué notamment car la légitimité démocratique du jugement profane (non professionnel) est fragile et incertaine. Encore aujourd'hui, les jurés sont souvent perçus comme inconsistants, incompétents, cédant facilement à leurs préjugés ou à leurs émotions et aisément influençables par les magistrats. [...]
[...] Cette conception du lien social renvoie au respect de statuts et de rôles sociaux ; les jurés tendant à sur pénaliser ceux qui trahissent leurs rôles B. Le jury juge non des individus ou des personnages mais des personnes Cette importance accordée aux statuts aux rôles et aux pratiques de rôles renvoient à une conception de l' homme en société qui se distingue à la fois de l'individualisme et du holisme. Le jury n'individualise pas les sentences, il les personnalise. [...]
[...] Les comportements différents des jurés face aux crimes contre les biens et aux crimes contre les personnes A. L'image d'« un jury impitoyable pour les crimes contre la propriété et indulgent pour les crimes contre les personnes est à nuancer L'image des jurés défendant rigoureusement la propriété et enclins à excuser les violences contre les personnes semble vérifiée par les statistiques puisque les crimes contre les personnes sont acquittés dans 30% des cas tandis que ceux contre la propriété ne le sont que dans 19% des cas. [...]
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