La question de la mémoire s'est révélée être un enjeu politique de taille dans l'entre-deux guerres. Maurice Halbwachs, Marc Bloch pour ne citer qu'eux, entretinrent des débats sur cette mémoire, construit social du passé, synthèse des souvenirs vécus et des construits sociaux. Des années plus tard, c'est toujours cette question de la mémoire qui reste au cœur des difficiles transitions démocratiques post guerre froide. C'est à la question argentine que s'intéresse plus précisément l'auteur dont nous étudierons ici le texte. Sandrine Lefranc, chercheuse au CNRS est spécialiste de la question qu'elle a déjà évoqué de nombreuses fois dans la revue Raisons politiques dont elle est la co-rédactrice en chef. Ses recherches portent notamment sur les situations d'après violence politique : la problématique des politiques du pardon et de la réconciliation nationale. Elle développe sa thèse dans son ouvrage Politiques du pardon paru en 2002. Fidèle à l'esprit de Raisons Politiques, revue dans laquelle est paru cet article, Sandrine Lefranc a à cœur de mêler dans sa réflexion des éléments théoriques issus des disciplines de philosophie, histoire, sociologie et science politique. Dans le texte étudié, l'auteur pose la question de la transition démocratique en Argentine.
Dans un premier temps nous cernerons la problématique soulevée par elle dans ce texte et nous tenterons de comprendre sa thèse dans la perspective plus large de la sociologie de la mémoire. Ce qui nous amènera ensuite à débattre un aspect de son discours, la question de l'instrumentalisation de la mémoire.
[...] La persistance de l'existence de groupes dénonciateurs et de violences est bien la preuve pour elle que la réconciliation nationale doit aller plus loin que la simple pacification de l'arène politique. Il serait intéressant néanmoins de se pencher plus sur la question de l'instrumentalisation de la mémoire par les élites et la profondeur de la pénétration de cette vision spécifique dans la société. Si Sandrine Lefranc ne le fait pas ici, son étude appelle néanmoins à le faire puisqu'elle refuse la vision d'une Argentine enfermée dans des engrenages de violence. [...]
[...] Ce que Sandrine Lefranc interroge ici, c'est en fait la construction conflictuelle de la mémoire argentine. Comment construire une mémoire consensuelle de la violence politique passée, propre à permettre au pays d'entrer de plein pied dans la démocratie. Cette question de la mémoire s'est posée à de nombreuses occasions lors de la construction ou du renforcement des démocraties occidentales. Sarah Farmer[1], par exemple, interroge la formation de la mémoire d'après-guerre, tiraillée entre résistants et collaborateurs. Oradour explique l'auteur, est alors choisi par De Gaulle comme le symbole de l'unité victime, un référentiel propre à la pacification des différentes velléités et attentes contradictoires. [...]
[...] Or Sandrine Lefranc n'interroge pas du tout cette relation société et sphère politique. Cette pacification de la mémoire ne se fait- elle vraiment qu'à l'intérieur de l'espace des élites politiques ? Ou bien, la construction spécifique qui est fait de la mémoire des violences étatiques n'est-elle pas diffusée également dans la société ? Les Hijos, Madres et Abuelas sont-elles vraiment représentantes de la société ? Enfin, il aurait été intéressant d'explorer davantage les raisons de la construction de cette réconciliation nationale. [...]
[...] En revanche, et c'est dommage, pour Sandrine Lefranc, cette dichotomie de la mémoire, se situe aux marges de l'espace politique : l'inimitié dessine ici ne ligne de partage entre le monde politique [ ] et le monde social [ ] (p.134). On pourrait dire au contraire que cette résurgence de la mémoire défiante des victimes est un phénomène purement politique. Pourquoi dresser une ligne de partage entre les deux quand on sait que les interdépendances liant le politique et le social sont infinies ? Qu'est-ce qui est du domaine du politique, qu'est-ce qui est du domaine du monde social ? [...]
[...] Lefranc Sandrine, Renoncer à l'ennemi ? Jeux de piste dans l'Argentine post- dictatoriale La question de la mémoire s'est révélée être un enjeu politique de taille dans l'entre-deux guerres. Maurice Halbwachs, Marc Bloch pour ne citer qu'eux, entretinrent des débats sur cette mémoire, construit social du passé, synthèse des souvenirs vécus et des construits sociaux. Des années plus tard, c'est toujours cette question de la mémoire qui reste au cœur des difficiles transitions démocratiques post guerre froide. C'est à la question argentine que s'intéresse plus précisément l'auteur dont nous étudierons ici le texte. [...]
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