Dans cet ouvrage, qui est une version remaniée de la thèse de l'auteure, Martine Kaluszynski entreprend de retracer l'émergence et l'institutionnalisation de la criminologie en France à la fin du XIXe siècle. S'inscrivant dans une démarche socio-historique, son analyse révèle que « le questionnement relatif à la constitution des savoirs et politiques criminelles est loin d'être neutre. Partant des problèmes du présent, il cherche à comprendre les institutions contemporaines et les défis auxquels elles sont confrontées aujourd'hui à partir d'une réflexion sur leurs conditions d'élaboration […]. Le recours à l'histoire permet ainsi de rompre avec une vision essentialiste de l'Etat, de la nation et de ses institutions pour les envisager comme des manifestations historiques relativement récentes et changeantes » . Néanmoins, il ne s'agit pas de faire de la fin du XIXe siècle le moment fondateur de la captation par le politique de la question pénale , mais plutôt de montrer comment la constitution d'une science du crime permet de renforcer les conditions d'une administration politique de ce dernier. « Cet ouvrage a pour objectif de mettre à jour les processus et les transformations du crime comme objet juridique en objet politique avec l'étape intermédiaire, fondamentale, qui permet ce passage : le crime saisi par la science, ou la construction de la question comme objet scientifique » . Le recours au passé, sans sacrifier à un mythe des origines autorise à retrouver les moments cruciaux de l'histoire, les genèses.
[...] On s'interroge de plus en plus sur les formes des crimes accomplis et on dresse une typologie précise des différents criminels : celui de l'étranger, de la femme, celui qui se réfère au sexe contre nature, le suicide . Dans une troisième partie intitulée L'avenir de la République Martine Kaluzynski souligne la volonté d'efficacité de la République contre les dangers qui menacent la nation et dont témoignent la crainte du voleur, du vagabond, du récidiviste, véritable obsession du siècle, à laquelle s'ajoute l'image inquiétante des mouvements populaires, la criminalité des foules développée par Gabriel Tarde et Gustave Le Bon. [...]
[...] En effet comme le souligne Martine Kaluszynski, on remarque chez les criminologues, qui se recrutent prioritairement parmi les médecins, une négation du pénal, au bénéfice d'un regard sur l'homme criminel. La mise en lumière de cette rivalité entre médecins et juristes est très nette en ce qui concerne le domaine criminel. Le monde savant est traversé par des conflits. Il existe un réel partage des terrains entre deux communautés professionnelles qui éprouvent beaucoup de réticences l'une envers l'autre, spécialement de la part des juristes qui, bien que soucieux de mener une réflexion sur les sciences humaines, montrent un grand scepticisme face à l'anthropologie criminelle. [...]
[...] Il s'avère tous aussi fécond de porter son attention sur les hommes autant que sur les institutions. Martine Kaluszynski retrace de façon précise la biographie d'Alexandre Lacassagne dans la première partie de son ouvrage, mais elle nous éclaire peu sur les motivations et sur les trajectoires de ces individus qui investissent les lieux où s'expose le nouveau savoir. Restituer la carrière de ces entrepreneurs de science et de politique pénale, est nécessaire afin de mieux saisir leur investissement et d'éclairer les liens ou les porosités entre l'espace de la réforme et l'espace politique, en voie d'autonomisation[9] ou l'administration. [...]
[...] Kaluszynski, Ibid., p Sur cette question on se reportera à l'ouvrage dirigé par Michel Offerlé, La profession politique, XIXe-XXe siècle, Paris, Belin 1999, 364p. C. Topalov dir., Laboratoires du nouveau siècle. La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France (1880-1914), Paris, Editions de L'E.H.E.S.S 574p. C. Lucas, Allocution devant les membres de la Société Générale des Prisons reprise dans Bulletin de La Société Générale des Prisons, Tome août 1877, p. 14. [...]
[...] Bouc émissaire dans une situation de crise, la presse est porteuse du mal en gestation. Antidote à ce désordre qu'est la criminalité, ordre, discipline, morale sont les réponses perçues à travers l'exposé [ ] des causes et facteurs de la criminalité La science sociale devient un nouveau savoir politique et la criminologie, souligne l'auteure, est de plus en plus en phase avec les préoccupations de la société républicaine. Expliquer le crime pour en déduire des solutions de nature à lutter contre celui-ci, voilà se qui va devenir le destin de la criminologie. [...]
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