Joël Cornette, Le roi de guerre. Essai sur la souveraineté dans la France du Grand Siècle

Résumé du document

Joël Cornette, professeur d'histoire à l'Université Paris VIII et vice-président du jury de l'agrégation d'histoire, a publié en 1993 un essai historique intitulé Le roi de guerre. Dans cet ouvrage, il analyse les rapports entre la guerre et le pouvoir royal, et les conséquences de la guerre sur l'établissement d'un Etat moderne. Le XVIIe siècle a été un siècle meurtrier, celui de la guerre de Trente Ans et celle de Succession d'Espagne, mais ce fut également le siècle qui a vu s'épanouir les monarchies centralisées autour du pouvoir royal. Le roi, symbole de la guerre, parvenait à canaliser la violence inhérente à toute société. C'est ainsi que l'on peut se demander dans quelle mesure la guerre a contribué à renforcer le pouvoir royal et contribué ainsi à l'apparition de l'Etat moderne ?

Nous verrons ainsi comment la guerre et la violence qu'elle implique ont structuré la société en se systématisant. Enfin, nous analyserons comment la figure du roi de guerre s'est construite en même temps que la naissance de l'Etat moderne.

Extraits

[...] Le roi de guerre symbolise le nouvel Etat qui prend forme. En même temps que les guerres meurtrières qui ravagèrent l'Europe au XVI° siècle, la place du roi devient prépondérante. La guerre lui a donné les moyens d'imposer son pouvoir tout puissant, afin d'ordonner la société et éviter les accès de violence propre à la nature humaine. À l'instar du roi, la guerre revêt un caractère sacré, notamment grâce à la théorisation de la guerre juste La guerre juste, tel que la définit Saint Thomas d'Aquin, est une guerre justifiée par des causes précises répondre à une agression par exemple mais plus que tout c'est la guerre elle-même qui devient sacrée. [...]

[...] C'est ici que l'on voit la rupture avec l'ère médiévale et l'entrée dans l'Etat moderne. Si l'Etat trouve sa légitimité avec la guerre, la centralisation des pouvoirs impose une bureaucratisation croissante, et le roi doit également être gestionnaire, plus que chef de guerre. Ainsi, en 1693, Louis XIV quitte le champ de bataille, préférant s'en aller avec les dames. Il marque ici la rupture avec la figure d'un roi présent physiquement sur le champ de bataille, en privilégiant la représentation symbolique. [...]

[...] Cela montre à quel point le roi est destiné à incarner la guerre. Une guerre qu'il incarne même physiquement, puisqu'il se trouve sur le champ de bataille. Si le roi incarne le pouvoir et l'autorité, c'est qu'il est justement le dépositaire de la violence populaire, le seul qui puisse la déclencher en déclarant la guerre. C'est ainsi que le bon roi, à l'instar d'Alexandre ou de César doit combattre au champ de bataille. Les rois de France sont à ce titre exemplaires, puisqu'ils se mettent en danger physiquement pour accompagner leurs hommes Henri IV et son fameux panache blanc. [...]

[...] La professionnalisation et la complexité technique de la guerre a permis à la société civile de s'épanouir à l'ombre des guerres, tandis que l'unité nationale se construisait sur des remparts qui délimitaient une frontière et un territoire national. L'étatisation de la guerre et la canalisation de la violence en la personne du roi ont achevé la construction d'un Etat moderne fondé sur la primauté de la figure souveraine. C'est pourquoi le roi était aussi un roi de guerre qui devait incarner physiquement le pouvoir guerrier, avant que le développement d'une raison d'Etat et d'une rationalité propre à la structure étatique ne le représente que symboliquement sur le champ de bataille. [...]

[...] La sanctuarisation du territoire du fait des fortifications a permis de fixer des limites au territoire national, et le modèle du soldat discipliné va se répandre à toute la société. Le citoyen, comme le soldat doit obéir aux ordres de son souverain, s'il veut que la société reste en ordre. La peur du désordre revient en effet souvent dans la littérature de l'époque. L'expérience de la guerre civile et extérieure a imposé la nécessité de repenser les fondements de la société et la nature de l'homme. [...]