Dans son Histoire sociale du suffrage universel en France 1848 – 2000, le même auteur explique la politisation du vote et des électeurs et les transformations de la vie politique française par le passage d'une mobilisation électorale fondée sur l'autorité sociale des notables à une mobilisation par des programmes et des idées politiques. M. Offerlé s'intéresse dans « Mobilisation électorale et invention du citoyen. L'exemple du milieu urbain français à la fin du XIXème siècle » à la manière dont la mobilisation électorale au XIXème siècle se transforme par le passage d'un répertoire de mobilisation fondé sur une offre de biens privés à un répertoire fondé sur l'offre de biens publics indivisibles, plus abstraits, qui impose un image légitime de l'usage du vote et de l'électeur. Enfin dans Un homme, une voix? Histoire du suffrage universel, M. Offerlé analyse de manière plus thématique les transformations ayant affecté le droit de suffrage, les techniques électorales, la mobilisation électorale, la campagne électorale, la procédure électorale afin de déterminer les luttes qui ont produit les normes légitimes du vote, de l'électeur, de la transaction électorale.
Il se dégage de ces textes que l'invention de l'électeur moderne procède bien du suffrage universel, pas parce que celui-ci aurait enfin accordé le droit de vote à l'ensemble des citoyens déjà politisés, mais parce que par la suppression du cens pour le droit de vote comme pour le droit de candidature a permis à de nouvelles catégories sociales d'entrer dans la compétition politique et de promouvoir par leur réussite une conception qui leur était favorable de la transaction électorale. Comme le rappelle M. Offerlé, « il ne va pas de soi que le « peuple » ait conquis le suffrage universel, il ne va pas de soi que les « citoyens » aient spontanément trouvé de l'intérêt à cette technologie à périodicité fixe, abstraite, délimitant et pacifiant la compétition entre les élites, à cet instrument de légitimation des gouvernants et d'institutionnalisation de la coupure gouvernants/gouvernés. »
[...] On trouve de nombreuses représentations d'agents électoraux s'adressant à des familles entières, femmes et enfants compris. Les critiques anti-cléricales dénoncent les pressions opérées par les curés sur les électeurs par l'intermédiaire de leur épouse, ou de leurs enfants à l'école. Plus tard les mêmes reproches seront faits aux instituteurs. Au niveau de la famille puis du village le vote est un consensus auquel on aboutit après discussion, la décision de vote est prise en fonction de schèmes domestiques. On est donc bien loin du vote comme expression d'une opinion politique. [...]
[...] La campagne électorale entretient aussi chez les électeurs la conviction que le vote légitime est un choix entre des programmes, des idées politiques. La législation enregistre ces transformations des pratiques. Les lois sur l'affichage électoral permettent de réglementer la concurrence dans l'affichage à laquelle se livrent les candidats et les militants. Quand les républicains parviennent au pouvoir, ils votent des lois favorables aux modes d'expression leur permettant de mettre en oeuvre leurs ressources électorales : lois sur la libertés de la presse et sur la liberté de réunion de 1881. [...]
[...] Dans Le secret de l'isoloir A. Garrigou montre que la création de l'électeur choisissant en fonction de critères d'évaluation politiques et l'imposition de nouvelles normes de vote excluant la fraude, les pressions et la corruption électorales ne sont pas le fruit de la nouvelle procédure de vote mise en place par a réforme électorale de 1913, mais que tous ces phénomènes sont en réalité le produit de la nouvelle transaction électorale instaurée par l'échange entre électeurs et entrepreneurs politiques spécialisés qui proposent sur le marché politique des biens publics indivisibles. [...]
[...] On juge aussi la légitimité des méthodes électorales. L'intense activité déployée par les professionnels politiques qui cherchent à concurrencer les réseaux d'influence notabiliaires est vue comme des atteintes aux bonnes moeurs et au bon sens par les notables. Tandis que le vote pour les notables est qualifié de spontané, le recours à des procédés politiques de conquête des voix est présenté comme un procédé déloyal et la propagande électorale comme de la démagogie. La mobilisation politique des votes est ressentie comme une rupture avec l'ordre social, un risque de désordre, et comme une corruption étrangère qui s'insinue au sein de la communauté. [...]
[...] Les adversaires de la réforme doivent leur élection à ce qu'ils sont, ils considèrent leur mandat comme la prolongation de leur domination économique et sociale, une ratification de ce qu'ils sont pour les notables, une ratification de ce qu'ils sont devenus grâce à une première élection pour les professionnels notabilisés. Les partisans de la réforme du Code électoral doivent au contraire ce qu'ils sont à leur élection. Leur élection n'est pas une ratification mais une investiture, elle constitue pour eux une promotion sociale. Pour eux cette réforme représente également un accroissement de la légitimité de ce qui est leur unique source de légitimité propre : l'élection. [...]
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