« Du mensonge en politique » dont le titre anglais est « Reflexion on Pentagon Papers », est un article publié par Arendt en 1971 dans le New York Review of Books. Dans cet article, elle revient sur la publication des Pentagon Papers (Documents du Pentagone) et propose une analyse de la politique du mensonge. Les Pentagon Papers est une expression populaire pour désigner le document traitant des relations entre les États-Unis et le Viêt-nam de 1945 à 1967. Ce document, qui comporte 47 volumes et qui totalise 7 000 pages, fut rédigé par trente-six officiers militaires et experts politiques civils à la demande de Robert McNamara, secrétaire à la Défense entre 1961 et 1968, sous le président J. F. Kennedy. Il éclaircit en particulier la planification et la prise de décisions propre au gouvernement fédéral des États-Unis pendant la guerre du Viêt-Nam.
Hannah Arendt en propose une analyse originale dont on peut décomposer le mouvement en deux temps : la spécificité du mensonge en politique (I) et son lien dangereux avec l'autosuggestion des gouvernants (II).
[...] Il s'agit d'une extraordinaire réduction des possibilités réelles : les spécialistes de la solution des problèmes ont quelque chose de commun avec les menteurs purs et simples : ils s'efforcent de se débarrasser des faits et sont persuadés que la chose est possible du fait qu'il s'agit de réalités contingentes Il est impossible de se débarrasser des faits, que ce soit par la théorie ou par la manipulation de l'opinion publique. Il ne suffit pas qu'un nombre élevé de personnes soit convaincu de l'inexistence d'une réalité pour l'annuler. Il faut un acte de destruction radicale, et en matière politique la destruction doit être totale. Mais la destruction totale n'a jamais existé, quand bien même la volonté de destruction totale se retrouve chez des dictateurs tels qu'Hitler et Staline. Pour être totale, il fallut qu'elle dispose d'un pouvoir équivalent à l'omnipotence. [...]
[...] Conclusion Pour Arendt, faire de la présentation d'une certaine image la base de toute une politique est une nouveauté. L'objectif n'est alors pas la conquête du monde, mais la victoire dans une bataille dont l'enjeu est l'esprit des gens. Cet objectif dont l'atteinte est impossible, même pour une superpuissance, révèle les limites inhérentes au politique, aussi absolu soit-il. Il comporte également un danger essentiel qui est celui de l'écart grandissant entre les faits et les décisions prises. Pendant la guerre du Viêt-nam, et même dès 1945, le mensonge de l'appareil gouvernemental est si déconnecté des réalités qu'il pénètre surtout l'esprit des autorités responsables qui ne sont alors plus capables de faire elles-mêmes la différence entre le mensonge et la vérité. [...]
[...] Les relations publiques sont une variété de la publicité propre à la société de consommation : elles ne se préoccupent plus que de l'opinion et des bonnes dispositions des acheteurs, donc tendent à oublier complètement la réalité. Elles se bornent à fabriquer une image et à faire convaincre l'opinion de sa véracité. Les spécialistes de la solution des problèmes sont des théoriciens formés à l'analyse des systèmes et à la théorie des jeux. Ils sont les vecteurs d'une certaine objectivité dans la description des situations, mais aussi l'incarnation d'un rationalisme sûr de lui-même. Ils contribuent au mensonge en fabriquant davantage une image de marque qu'une analyse de la réalité. [...]
[...] En d'autres termes, se fier à un pourcentage est envisageable à condition que la perte n'ait pas de conséquences sérieuses. Une guerre sans objectif politique La guerre du Viêt-nam menée par les Etats-Unis n'avait aucun objectif réel : l'unique but de cette entreprise gigantesque était de créer un certain état d'esprit L'incompréhension que le pouvoir comporte toujours des limites, même pour une grande puissance, explique que des moyens aussi importants aient pu être consacrés à des fins dépourvues de tout sens politique. [...]
[...] II/ Mensonge et autosuggestion Comment ont-ils pu ? A la suite de la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis sont la première puissance mondiale, et pourtant ce pays n'a pas su triompher d'une petite nation. Pour Arendt, plus un trompeur est convaincant et réussit à convaincre, plus il a de chances de croire lui-même à ses propres mensonges Il existe donc un lien entre la tromperie et l'autosuggestion. Il faut noter en effet l'existence d'un écart entre le contenu des rapports, à la fois véridiques et pessimistes, et la tonalité des déclarations publiques toujours optimistes. [...]
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