Dans toute démocratie pluraliste, les forces d'opposition à un nouveau régime commencent par le refuser, mais finissent par l'accepter avec l'espoir de l'utiliser. Ainsi, la gauche française, force d'opposition au moment de la naissance de la Ve République, a toujours entretenu des relations complexes avec cette dernière : « issue d'un échec de la gauche face à la décolonisation, née grâce à une division exacerbée de la gauche en mai 1958, la Cinquième République n'est devenue elle-même, c'est-à-dire un régime majoritaire, que grâce à la gauche » (p.369). De même, la gauche est partiellement un « produit » de la Ve République. Ces interactions, à la fois constitutionnelles et politiques, font l'objet de ce livre d'Olivier Duhamel.
À l'issue de ses études à l'université Paris-X Nanterre en 1979, il soutient sa thèse de doctorat sur La Gauche et la Ve République, dans laquelle il analyse le rejet originel, puis le ralliement de la gauche française aux institutions et aux pratiques créées par Charles de Gaulle. Juriste et politologue spécialiste du droit constitutionnel, Olivier Duhamel est un homme politique de centre-gauche qui participe activement au débat public.
[...] Mais il existe un autre obstacle : une série de contradictions internes font que la gauche est sans stratégie constitutionnelle. L'absence de doctrine de la gauche aurait dû favoriser la mise au point d'une stratégie constitutionnelle en fonction uniquement de l'efficacité politique, mais cela n'a pas été le cas. Son incapacité découle du fait que ses positions varient selon l'élection, présidentielle ou législative. En fonction de cela, la gauche valorise le président ou au contraire plaide pour le pouvoir du couple gouvernement-assemblée, elle ne voit donc pas plus loin que la prochaine élection. [...]
[...] Les phrases sont brèves et s'enchaînent de manière limpide, et l'auteur entraîne aisément le lecteur à sa suite. A ce propos, Jacques Chapsal, politologue et historien français qui fut longtemps directeur de l'IEP de Paris, s'avance même jusqu'à dire de lui que s'il parle comme il écrit, ses étudiants ne doivent guère connaître les tentations de l‘assoupissement On peut cependant reprocher à ce style si particulier d'être parfois quelque peu publicitaire Olivier Duhamel se permet en effet un certain nombre d'affirmations péremptoires, tranchantes et exagérées dans le seul but d'appuyer et de mieux faire ressortir son propos. [...]
[...] Par conséquent, la gauche se fait obstacle à elle-même. Elle limite les révisions constitutionnelles à quelques points ayant pour objet de critiquer la pratique existante, mais qui la paralyseraient en réduisant ses moyens d'action et en affaiblissant ainsi son éventuel propre pouvoir. Pour ne pas s'affaiblir elle-même, la gauche doit adopter une conception des constitutions qui intègre ses propres faiblesses et elle est donc paradoxalement obligée d'entrer dans le jeu des mécanismes de la Ve République. Par là, elle se condamne à seulement rêver sur un changement révolutionnaire du pouvoir : son arrivée au pouvoir ne modifierait en rien les données du régime. [...]
[...] Il faut donc analyser une éventuelle utilisation de la Ve république par la gauche. À l'époque où est écrit le livre (1978-1979), la Ve république doit encore franchir l'épreuve de l'alternance. Se croyant au pouvoir avant les élections législatives de 1978, la gauche s'est brisée sur ses enjeux et son exercice. C'est ainsi que s'explique partiellement la crise incroyable de 1977, où la gauche rompt son unité alors que tout était réuni pour qu'elle remporte les prochaines élections : par crise gouvernementale anticipée (p.371), un des non-événements les plus extraordinaires de l'histoire politique : une opposition qui devait remporter les élections s'est employée in extremis à les perdre (p.419). [...]
[...] Mais, comme le souligne l'auteur, il ne formule jamais de projet constitutionnel innovant et son refus étant fondé sur le double mythe de la précarité et de la dictature, il s'amenuise au fur et à mesure qu'il est démenti par les faits. Enfin, la gauche ralliée passe du ralliement à un régime illusoire à une opposition au régime réel Elle ne se résigne à De Gaulle que pour résoudre la crise, mais n'adhère pas au régime établi et pense même que celui-ci n'est que temporaire et illusoire. [...]
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