Ce contre-discours est un livre d'humeur qui prend à contre-pied les discours des embaumeurs (Cohn-Bendit, Geismar) et des fossoyeurs (Sarkozy, Ferry) de mai 68. En s'accaparant le monopole de la discussion sur cette révolte, ils empêchent les vrais héritiers de mai 68 de se reconnaître dans cet authentique mouvement politique. La thèse principale du livre est qu'en discourant à tort et à travers sur les événements de mai, on en oublie l'effectivité politique. On prive ainsi les insurgés de l'aliment qui faisait la vigueur de leur soulèvement. C'est par une analyse furtive et surtout, un replacement de l'esprit de mai dans sa dimension événementielle et actuelle, que Cusset espère permettre une inscription des nouvelles luttes politiques, à la fois en rupture et en continuité avec mai 68 (nous verrons qu'il parle d'homologie structurale entre mai 68 et les nouveaux collectifs comme Act up, ATTAC ou AC !).
L'auteur précise qu'il n'a pas vécu directement mai 68, tout juste a-t-il le même âge que cet événement. Mais il a été déçu par le désenchantement et la haine développés à l'encontre de ce mouvement, contre « cette vieille figure bordélique du Désir collectif » . Il y a en France une peur vis-à-vis de mai 68, une peur de sa diffusion énigmatique. Ainsi Cusset remarque une certaine unanimité pour liquider mai 68. Des gens aussi divers que Mitterrand, Aron, Cohn-Bendit ou Ferry ont finalement tous eu des visions réductrices de ce mouvement. Bref, à gauche, comme à droite : « tous d'accord, en somme, et depuis le début » .
Cusset donne en vrac plusieurs enjeux à son livre, nous retiendrons ici les lignes essentielles. Il s'agit pour lui de redonner à mai 68 sa force d'irruption, d'affirmer que la prise de parole peut aussi être une puissance d'agir, qu'on peut lier l'existence et la politique, que les luttes mineures sont plus longues que les batailles officielles, que l'égalité se conjugue seulement au présent, que mai 68 n'a jamais été intégré dans les mœurs de la société française et qu'une contre-révolution n'a en fait jamais cessé d'être rongée de l'intérieur par le vers du refus.
La récupération de mai 68 s'est faite dès le début. L'idée n'est donc pas de proposer une énième interprétation du phénomène. Mais derrière les évidences qui se sont développées, l'ambition est de montrer que mai 68 n'est pas un phénomène que l'on peut embaumer : selon Cusset, mai 68 ne fait que commencer. Autrement dit, alors que Nicolas Sarkozy cherche à liquider 68, aidé en cela par tous les embaumeurs et les fossoyeurs de mai 68, il s'agit d'affirmer que face au pouvoir, la seule solution logique est peut-être de « protester plus pour vivre plus » .
[...] Il y a en effet tout un camaïeu d'émotions plus intense que la vie d'avant : la politique de mai 68 est d'abord dans cette évidence oubliée : l'indissociabilité nouvelle, l'enchevêtrement absolument inédit de la fête et de l'hyperconscience sociale, de l'allégresse et du jargon marxisant, du sexe et de la guérilla La politique a en fait pris un sens nouveau qu'elle n'a pas cessé de perdre depuis lors. On a donc une rencontre de l'intime et du social, à la fois le désir de s'amuser et celui de pendre les ministres et les banquiers. L'amour et la révolution ont fait une alliance en mai 68 dans un but politique, au sens où rapprocher les incommensurables est la seule manière de menacer l'ordre des choses. Or ce qui fait peur dans mai 68, c'est justement cette érosion des frontières. [...]
[...] Et si ces trois sphères sont coextensives, elles ne se confondent pas pour autant. L'expérience vécue de la lutte doit se heurter aux limites de ses concepts, sinon c'est que la vie a été mise à distance des mots et que les mots légitimes, ceux qu'on dit coller à la réalité finissent par dissimuler la vérité. D. Tous les 68 du monde Selon Cusset mai 68 est un phénomène mondial qui se retrouve à d'autres dates, dans d'autres lieux et sous d'autres formes. [...]
[...] Après 68, il s'est passé une séparation des choses et des discours, c'est pourquoi les slogans sonnent creux. Mais il fut un temps où affects et politique étaient en accord : c'est cela la leçon vivante de mai 68. Parole, texte et utopie étaient alors inséparables. Le mouvement de mai est une prise de parole, une révolution verbeuse. La parole de mai c'était le sujet de l'instant, elle était mue par un pur désir de parler. Cette parole était à la fois surabondance inaudible et vérité d'un contre-pouvoir, car elle agissait sur les esprits. [...]
[...] Il s'agit selon lui, d'un héritage de combat et d'un équivalent structural. En réalité, un travail politique d'érosion continue, mais ce travail reste invisible à l'œil nu. A. Quarante ans de contre-révolution Cela fait quarante ans qu'on embaume ou qu'on inhume mai 68, en se divisant faussement sur son héritage. A chaque fois, on ne fait qu'essayer de se convaincre que la révolte ne mène à rien, qu'il n'y a plus d'utopie ou de sédition possible. Pourtant les conditions objectives de la révolte sont toujours là. [...]
[...] Mais sa force et sa faiblesse sont un certain rapport entre le visible et l'invisible. Comme le dit Badiou, la politique ne vaut pas une heure de peine si elle n'est pas une certaine fidélité durable à la vérité de l'événement. En conséquence, s'il existe des infidélités visibles, il existe aussi des fidélités invisibles. Les têtes de mai 68 n'ont pas de visage : ce ne sont pas Cohn-Bendit et Geismar, ce sont les sans visages comme Raoul Vaneigem ou Bruno Queysanne, autrement dit, les milliers d'insurgés anonymes qui ont mené un combat contre la société spectaculaire et le contrôle policier. [...]
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