Rosanvallon part du constat paradoxal que si l'idéal démocratique règne sans partage, les régimes qui s'en réclament sont cependant vivement critiqués car il y a une érosion de la confiance des citoyens dans leurs dirigeants. Alors que les interprétations traditionnelles de cette érosion mêlent individualisme croissant, repli sur la sphère privée, déclin de la volonté politique et élites coupées du peuple, Pierre Rosanvallon souhaite ouvrir l'analyse en proposant une étude de la dynamique des réactions de la société face aux dysfonctionnements originels des régimes représentatifs.
Faisant la distinction entre les deux dimensions du mouvement des expériences démocratiques – le fonctionnement et le problème des institutions électorales représentatives d'une part (fondées sur la légitimité du vote) et la constitution d'un univers de la défiance (la confiance élargissant temporellement cette légitimité donnée par les urnes) d'autre part–, Rosanvallon étudie la deuxième dimension en cherchant à appréhender les manifestations de la défiance.
Cette défiance s'exprime sous deux aspects : la défiance libérale par rapport au pouvoir (risque d'abus de pouvoir de Montesquieu) et la défiance démocratique (étudiée ici) consistant à veiller à ce que l'élu respecte ses engagements et le bien commun. Cette défiance démocratique présente 3 grandes modalités : les pouvoirs de surveillance, les formes d'empêchement et les mises à l'épreuve d'un jugement. Ce sont ces contre-pouvoirs à l'ombre de la démocratie qui forment les contours d'une contre-démocratie, démocratie des pouvoirs indirects disséminés dans le corps social.
Rosanvallon s'oppose au « mythe du citoyen passif » car s'il y a un déclin de la démocratie d'élection, d'autres formes non conventionnelles de participation politique se sont développées. Le problème est plutôt celui de l'impolitique (défaut d'appréhension globale des problèmes liés à l'organisation d'un monde commun).
Ces pouvoirs indirects sont à la fois post-démocratiques (apparus en réaction de promesses non tenues) et pré-démocratiques (l'exercice de pouvoirs de surveillance et de résistance) et constituent à ce titre la première étape de l'émancipation humaine. La contre-démocratie existe donc sous la forme de purs contre-pouvoirs pouvant servir à une comparaison mondiale qui « désoccidentalise le regard. »
[...] Si le peuple est l'opinion publique (1789), sa représentativité est soit issue du peuple-électeur soit issue du peuple-opinion ; il y a donc concurrence entre les figures du député et du journaliste (La Plume et la Tribune). Un certain illibéralisme revient en France avec la prétention de délégitimer toutes les expressions de la société qui n'ont pas été consacrées par les urnes (vision étroitement légale de la démocratie qui s'est affirmée dans l'histoire française). Aujourd'hui, on fait une distinction plus large entre la légitimité des gouvernants et celle de leurs actions : l'élection n'est plus qu'un mode de désignation des gouvernants et non l'instrument-clé d'expression démocratique. [...]
[...] Les jurys de tribunaux sont des quasi-législateurs. Ils apparaissent au XVIIIème siècle pour restreindre les erreurs judiciaires et faire respecter les droits de l'Homme. L'activité politique prend ainsi une qualité délibérative et participative. Le jury populaire jurés) apparu à la Révolution produit des normes sociales en décalage avec les normes légales. On assiste dans le même temps à une judiciarisation du politique due à une instabilité des institutions et un déclin de la réactivité des gouvernements face à la demande citoyenne. [...]
[...] Mais elle est condamnée à agir par le biais d'une démocratie directe régressive car insurrectionnelle. La démocratie est faible car le consentement par défaut est de plus en plus la règle : les citoyens sont indifférents voire incapables de formuler des critiques. D'où l'idée d'organiser des élections tacites en Grande-Bretagne au XIXème siècle (pas d'élection en cas de candidature unique). III Le peuple-juge Juger est la 3ème manière de participer au politique sans voter. Il s'agit d'examiner une question dans le but de la trancher. [...]
[...] Fiche de lecture: "La contre-démocratie", Pierre Rosanvallon Né le 1er janvier 1948 à Blois, Pierre Rosanvallon est diplômé d'HEC. Il est Docteur ès sciences de gestion et Docteur ès lettres et sciences humaines. Il a été l'un des principaux théoriciens de l'autogestion et il est depuis longtemps associé à la CFDT. Il occupe la chaire d'histoire moderne et contemporaine du politique au Collège de France. Il est également directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) où il dirige le Centre de recherches politiques Raymond Aron. [...]
[...] Or, elle doit prendre en compte l'aspiration générale des citoyens à plus de participation en réfléchissant à la mise en place d'un régime plus attentif à la société. La contre-démocratie doit être consolidée. Mais comme les pouvoirs contre-démocratiques sont incohérents entre eux, ils doivent se multiplier pour prospérer. En aucun cas, ils ne doivent être institutionnalisés. Les pouvoirs de surveillance actuels (Parlement, opinion publique, partis, mouvements sociaux, institutions démocratiques ad hoc) segmentent l'opinion publique. Il faut travailler à l'émergence d'une citoyenneté plus active et experte grâce à des agences citoyennes de notation et des observatoires citoyens. Des citoyens tirés au sort pourraient constituer des commissions d'enquête. [...]
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