Nous tenterons ici de montrer de qu'Emmanuel Renault, dans son ouvrage, l'expérience de l'injustice tente de présenter une alternative à cette tension entre solidarisme réformiste et idéologie révolutionnaire, bien qu'il n'évoque pas directement cette question.
Venons en aux principales lignes de la théorie de l'expérience de l'injustice. Renault se place dans la tradition de l'école de Francfort et tente de réaliser un nouveau type de critique sociale, largement inspirée de la théorie de La lutte pour la reconnaissance d'Axel Honneth. Mais ici, Renault tente de dépasser la critique d'Honneth en ce qu'il ne se contente pas de pointer des pathologies du social marquées par le manque de reconnaissance mais tente de légitimer le message normatif porté par les mouvements sociaux à partir de ces pathologies. La philosophie de Renault a donc l'avantage de légitimer une dynamique sociale déjà existante comme constituant une réponse pertinente à ces pathologies du social engendrées par le déni de reconnaissance. Son pari est donc de faire le pont entre théorie et pratique, c'est à dire de fournir, à travers les paradigmes d'Honneth une justification conceptuelle solide à l'ensemble des mouvements sociaux identitaires, altermondialistes, syndicalistes, à fédérer les différentes luttes sociales autour d'une théorie justificative qui évite les écueils de la doctrine purement marxiste, souvent jugée obsolète, même à gauche.
Renault caractérise donc le mouvement social comme une réponse pratique aux situations de déni de reconnaissance à l'aide du concept d'expérience de l'injustice. L'expérience de l'injustice va plus loin que la simple pathologie du social qu'est la situation du déni de reconnaissance. D'après Honneth, le déni généralisé de reconnaissance, pour des raisons économiques ou identitaires, engendre une société du mépris qui stigmatise des franges entières de la population condamnées à une situation d'infériorité implicite. Mais la notion de sentiment de l'injustice prend en compte la capacité de réaction des franges méprisées : le sentiment de l'injustice est alors ce qui envahit la personne victime d'un déni de reconnaissance quand sa situation est devenue tout bonnement insupportable et que les pathologies internes causées par le déni le mettent dans un besoin de rébellion.
[...] Comme Marx, à son époque, avait rendu compte des dynamiques sociales qui créaient la souffrance du prolétariat à travers les concepts de domination et d'aliénation, le système de Renault pense pouvoir réexpliquer au mieux ces dynamiques en prenant en compte les exclus, trop souvent réduits au silence, justement parce qu'ils ne peuvent même pas se dire dominés. Donc, pour conclure, nous pouvons dire que la position de Renault sur la solidarité est plus un combat qu'un projet. Loin de croire que telle ou telle structures normatives peuvent mener à la création d'une société solidaire au sens large, il légitime le mouvement social comme un combat éternel pour la justice sociale. [...]
[...] Il pense également dépasser la théorie Habermassiennne de l'agir communicationnel au sens où elle conçoit le rapport intersubjectif comme essentiellement langagier, et donc plus faible, au fond, qu'une théorie qui se fonderait sur les affects et permettrait de prendre en compte également ceux qui ne peuvent entrer dans la sphère de la délibération langagière, ceux qu'on appelle les sans voix. A ce stade, Renault semble être un chantre du solidarisme, s'épanchant sur le malheur des classes populaires. Mais nous allons voir qu'il n'en est rien, du moins selon la définition classique du solidarisme. [...]
[...] Le sentiment de l'injustice peut donc bien en fait être réellement un sentiment de colère ou d'indignation. L'important, c'est qu'il y ait un vécu psychologique aliénant occasionné par un déni de reconnaissance, ce qui, dans la conception utilitariste qu'a Renault de la justice, constitue forcément une injustice. Le sentiment de l'injustice n'est sans doute pas présent dans l'esprit des militants, et l'enjeu n'est pas là. Il est plutôt une fiction qui permet de rassembler tout un ensemble de sentiments de révolte, bien réels, eux, qui ont comme point commun d' être induits par des défauts institutionnels, de politiques d'exclusion, d'aliénation, de mépris. [...]
[...] Non seulement, donc, il y a des injustices sociales dans le mépris envers certaines personnes dans la lutte pour la reconnaissance mais encore il y a des formes de reconnaissances qui sont de toute manière injustes et permettent d'instrumentaliser le travailleur en l'attirant grâce à une fausse reconnaissance ( voir à ce propos la critique du néo-management). La forme du déni de reconnaissance, chez Renault, englobe aussi les mauvaises formes de reconnaissance. Mais, si Renault critique la visée idéaliste de Honneth, comment trouver un fondement à sa critique sociale ? En effet, Honneth lui-même, dans la société du mépris, constate l'impossibilité, pour toute critique sociale, de faire l'économie d'une vision idéale du juste, et donc reste condamnée à n'être qu vision particulière du social, prisonnière de la conception du juste qu'elle présuppose. [...]
[...] Leur seul argument se plaindre de leur situation jugée insupportable, sans forcément tenir dessus un discours recevable normativement, ce qui pousse parfois à les qualifier de sempiternels non Or c'est ici que la théorie de l'expérience prend son maximum de signification. Car il n'est pas besoin, dans cette optique de tenir un discours serré d'auto justification. Pour être légitimé en tant que mouvement social, il suffit d'être confronté à une situation insupportable. Ainsi, Renault avoue dans cette dernière partie, que tout le livre n'a eu pour but que de défendre les sans voix (puisque après tout, les partis et les syndicats, eux ont assez de portes-paroles et peuvent se justifier tout seul). [...]
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