Bertrand Badie, professeur des Universités à l'IEP de Paris, directeur des Presses de Sciences Po, du Cycle supérieur des Relations Internationales et du centre Rotary d'études internationales sur la paix et la résolution des conflits a entrepris d'analyser dans de nombreux ouvrages les mutations que subissent les relations internationales et interétatiques dans le cadre des bouleversements technologiques et sociaux du monde moderne. Il a publié de notamment « Un monde sans souveraineté », « La Fin des territoires », « Les Deux Etats » (sur l'islam politique), « Le Défi migratoire » (sur les flux transnationaux).
Dans son ouvrage « L'Etat importé. Essai sur l'occidentalisation de l'ordre politique », l'auteur s'interroge sur la problématique de l'émergence d'un modèle étatique occidental dans les sociétés extra-occidentales, et surtout sur la difficulté de transplanter un système politique d'un pays à un autre. "La mondialisation du phénomène étatique pourrait donner à penser qu'il a partout triomphé alors même que l'uniformisation des Etats n'est qu'apparente et leur puissance problématique". Cette affirmation paradoxale de Josepha Laroche recoupe assez nettement l'analyse de Bertrand Badie dans l'Etat importé. L'Etat s'est diffusé par vagues successives à travers le monde, de l'Europe occidentale à l'Amérique latine au XIXè siècle, au reste de l'Europe avec l'avènement des nationalités et l'éclatement des Empires (austro-hongrois, ottoman, russe), et enfin avec le processus de décolonisation à l'ensemble du monde. L'Etat apparaît donc aujourd'hui comme omniprésent, voire comme la seule forme possible d'organisation politique.
Ce problème a très tôt intéressé les auteurs de science politique qui ont produit de nombreuses théories sur lesquelles revient Badie dans le début de son ouvrage (dépendancialisme, économicisme, …). L'auteur critique ces thèses comme on le verra et insiste sur le rôle actif des pays extra-occidentaux dans l'importation des modèles politico-institutionnels, en revenant notamment sur l'implication des élites locales dans ce processus. Le grand enjeu du livre est d'expliquer pourquoi l'Etat s'est universalisé.
Pour analyser ce livre nous avons choisi de suivre l'ordre de la réflexion suivie par Bertrand Badie qui analyse successivement les raisons de l'exportation des modèles politiques, puis les stratégies de la part des pays extra-occidentaux avant de s'interroger sur les raisons d'une « universalisation manquée ».
[...] L'ordre étatique est également mis à mal selon l'auteur par les stratégies d'innovation territoriale. Badie parle tout d'abord d'une régionalisation du monde à travers trois modalités. En premier lieu, le développement de flux internationaux qui renforcent l'identité culturelle des régions. Ensuite, la construction de pôles régionaux autour d'Etats puissants, comme autour du Japon. Badie évoque ensuite l'existence d'ensembles trans-étatiques, en prenant l'exemple de minorités qui sont devenues des acteurs internationaux de fait, comme la minorité Kurde. Des espaces culturels régionaux émergent par le jeu étatique. [...]
[...] Le deuxième élément qui vient renforcer la prééminence du modèle étatique est la transformation de la scène internationale, que les Etats occidentaux ont peu à peu forgée à leur propre image Cette occidentalisation de la scène internationale, qui vise la perpétuation de l'ordre interétatique westphalien, s'opère à la faveur de trois éléments majeurs. Le premier axe de ce processus correspond à la territorialisation du monde. Le principe de territorialité est un élément essentiel du système international contemporain. L'idée d'un territoire fini et institutionnalisé est intrinsèquement liée au modèle étatique. Une telle conception du territoire symbolise l'allégeance citoyenne sans intermédiaire à un centre dépositaire de l'autorité. [...]
[...] Cela constitue un paradoxe car l'organisation étatique s'affirme à partir de flux qui la contournent. Par exemple, la création de l'Association pour les droits de l'homme en Iran fut lancée par des juristes iraniens qui avaient été en contact étroit avec des organisations internationales, telles que Amnesty International. II L'importation des modèles politiques A Les importateurs et leur stratégie Pour Bertrand Badie, les stratégies d'importations revêtent des formes différentes pouvant être expliquées par la variété de ceux qui en prennent l'initiative. [...]
[...] L'impératif officiel est la modernisation, quitte à retarder l'impératif de démocratie comme en Iran sous le shah ou en Turquie sous Mustapha Kemal. Par conséquent, le culturalisme s'empare de la revendication démocratique : on pense donc la démocratisation des sociétés extra-occidentales en mobilisant le seul modèle et les seules catégories de démocratie de l'occident. Les contestataires profitent de l'ordre représentatif pour faire entendre leur voix comme Khomeiny en Iran avant la Révolution. Le problème central du débat politique importé est la limitation voire le blocage de la capacité d'innovation politique, ce qui renforce la référence et la dépendance à l'ordre institutionnel importé. [...]
[...] On constate un succès croissant des partis identitaires (les Frères musulmans en Egypte pour prendre un exemple récent), mais ces partis sont avant tout créateurs d'une mobilisation négative. Plutôt que des agents de réappropriation de l'ordre importé ils se positionnent avant tout en dénonciateurs de l'emprunt. La mobilisation, plutôt que l'innovation est une fin en soi. Badie met ensuite en évidence la dialectique du particularisme et de l'Empire. La compétition politique avec les partis identitaires dessert l'identification stato-nationale et empêche une forme de socialisation nationale nécessaire à toute appropriation d'un système politique. Au lieu de cela se constituent des solidarités microcommunautaires. [...]
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