Rendu célèbre aux Etats-Unis par son ouvrage Order and History qui demeure peu connu en Europe, Eric Voegelin est également l'auteur d'un opuscule intitulé Les Religions politiques. Il est publié en Allemagne en avril 1938, en pleine période d'activité des totalitarismes en Europe, quelques semaines après la proclamation de l'Anschluss par Hitler. Après que Nietzsche a déclaré la mort de Dieu, de nombreux philosophes et intellectuels se sont élevés pour déplorer le manque spirituel de leurs contemporains. Les 10 et 19 mars 1937, soit un an avant Les Religions politiques, Pie XI publie Divini Redemptoris et Mit Brennender Sorge, les deux encycliques qui dénoncent le nazisme et le communisme athées. Comme Hannah Arendt (Des origines du totalitarisme, en 1951), ou Leo Strauss, Eric Voegelin condamne le solipsisme subjectiviste moderne s'imaginant faire table rase de la religion et qui, au nom de la raison, croit trouver en lui-même les moyens suffisants pour construire de toutes pièces un monde nouveau et meilleur. Voegelin estime que la modernité prétend vouloir faire descendre le paradis sur terre et faire de l'accès aux moyens du bonheur ici-bas la fin ultime de toute politique. Le point culminant est atteint avec le savoir absolu hégélien et l'idée que l'homme est devenu Dieu. Cette immanentisation du réel et de la vie spirituelle est à l'origine des mouvements révolutionnaires en Europe et de l'oubli des fondements de la vie politique. La religion séculière est cette doctrine promettant le salut de l'humanité en ce monde. Pour cela, elle prône l'effacement des religions spirituelles et une sacralisation de la politique qui devient religion de l'immanence et moyen pour parvenir au salut terrestre. Voegelin n'utilise pas les termes « totalitaire » et « totalitarisme », mais il fait apparaître les conséquences terribles des religions politiques, terreau de ce que l'on nomme doctrines totalitaires.
D'un côté, dans cet extrait, Voegelin déplore comme un manque essentiel la disparition du religieux qui résulte d'une subversion des religions spirituelles par l'exaltation de la science et l'athéisme ambiant. D'un autre, il démontre la volonté de compenser ce manque des religions spirituelles par l'invention de religions intramondaines, ou « religions politiques ».
En quoi cet extrait des Religions politiques permet-il de comprendre la genèse de l'idéologie totalitaire et d'en montrer le système et les méthodes ?
La substitution des religions spirituelles au profit de nouvelles religions politiques témoigne d'un transfert de sacralité à la base des doctrines totalitaires.
[...] Rejet de la religion et désenchantement du monde Selon Voegelin, la genèse des religions politiques se trouve dans le rejet progressif de la métaphysique et des religions spirituelles. Reprenant la question métaphysique fondamentale de Leibniz pourquoi y il de l'être plutôt que du néant Schelling et plus tard Heidegger la tournent au profit d'une infime minorité de philosophes. Cette question ne signifie donc plus rien, regrette Voegelin, aux yeux des vastes masses quant à leur attitude religieuse Précédemment, la théologie et la foi prenaient le relais de la métaphysique et la question ne se posait pas en ces termes. [...]
[...] Ainsi, écrit Voegelin, le monde comme contenu a écarté le monde comme existence Le monde comme existence faisait l'objet de la philosophie, de la métaphysique et de la science au sens qualitatif et spéculatif. Désormais, le monde est quantifiable, mesurable, soumis à des lois capables de tout expliquer, il n'est plus qu'un espace de découvertes scientifiques et expérimentales, un contenu duquel tout mystère est exclu. Nous pouvons parler alors, comme Voegelin le fait dans sa conférence de 1958 Science, politique et Gnose, de nouvelle gnose. En effet, qu'est-ce d'autre que la gnose, sinon cette volonté de connaissance du Bien et du Mal, d'une connaissance qui ouvre à l'homme la voie du salut ? [...]
[...] C'est la standardisation des méthodes qui doit amener à l'objectivité. La Conception scientifique du monde est le titre d'un manifeste qui paraît à Vienne en 1929. Ce texte émane d'un petit groupe de savants qui désirent mettre fin à l'esprit spéculatif et métaphysique qui règne selon eux sur la pensée. Ce qui distingue le Cercle de Vienne est son usage de la logique pour l'étude des problèmes scientifiques et philosophiques. Il donne une définition nouvelle et radicale de la philosophie. [...]
[...] C'est la formule de l'Encyclique du pape Pie XI Divini Redemptoris publiée le 19 mars 1937, portant sur le communisme athée, qui est probablement la plus connue : Civitas homini, non homo civitati existit : la cité est pour l'homme, et non l'homme pour la cité Quelques jours plus tôt, le 10 mars, Pie XI publiait l'encyclique Mit brennender Sorge condamnant le nazisme. Pour le Pape, comme pour Voegelin, la politique n'est pas un absolu, mais vise à garantir le Bien commun et considère l'homme comme un être matériel et spirituel, composé d'un corps et d'une âme. [...]
[...] Graduellement, ces théories coupent l'homme de sa dimension spirituelle. Pour que le nazisme et le fascisme adviennent -Voegelin ne parle pas du communisme ici, mais le cas nous semble similaire-, il a fallu une corruption préalable de l'homme. Alors que l'homme était compris à la fois comme une personne rationnelle et comme un être relié à Dieu, fait à son image et à sa ressemblance, mais soumis à sa volonté, la modernité s'est coupée de Dieu. Ainsi, la corruption de l'homme vient de cette césure qui ouvre la voie à la dédivinisation et à la déshumanisation qui culminent dans les religions politiques. [...]
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