«Jusqu'à aujourd'hui, confiait Norbert Elias à 87 ans, je n'ai pas le sentiment d'être totalement
compris. » Les travaux d'Elias subvertissent les découpages institutionnels. Uber den Prozess der Zivilisation a un objet, central à défaut d'être exclusif, l'histoire, une problématique, la sociologie, et une orientation, une théorie de la politique. L'histoire des Etats relève de l'enquête historique mais elle est analysée selon une théorie de la monopolisation de la violence physique qu'elle sert à construire comme celle-ci sert à comprendre les histoires singulières. L'histoire des manières met au jour des faits et des changements mais s'analyse comme les éléments d'une économie psychique dont les transformations sont produites par l'instauration de monopoles étatiques. Le but des recherches d'Elias est de comprendre à travers l'histoire les schémas de comportement actuels. Né en Allemagne dans une famille juive, mort aux Pays-Bas, Norbert Elias (1897-1990) passa l'essentiel de sa carrière en Angleterre où, fuyant l'Allemagne nazie, il s'était réfugié avant la Seconde Guerre mondiale. Sa thèse sur la société de cour (Die Höfische Gesellschaft), soutenue en 1933, tout comme son premier grand ouvrage sur le « processus de socialisation » (Uber den Prozess der Zivilisation, dont La Dynamique de
l'Occident est le deuxième volume), paru en catimini à la veille de la guerre, ne furent publiés qu'en 1969. La théorie des « procès de civilisation » constitue le coeur des travaux produits par Elias jusqu'aux années quarante.
Il y souligne le rôle clé joué par la construction graduelle d'un appareil d'Etat capable de se doter d'un double monopole du prélèvement fiscal et de la violence légitime. Si la parenté wébérienne est évidente, la singularité d'Elias vient de ce qu'il déplace le regard : le monopole de la violence légitime est certes un outil de domination, mais il est aussi un instrument de pacification des rapports sociaux. Avec La dynamique de l'Occident, Elias s'attache à démonter les mécanismes qui ont conduit les Européens, sous l'influence déterminante de la France, à exercer un contrôle croissant sur leurs pulsions. Il analyse le passage d'une société traditionnelle à une société complexe où la monopolisation par l'Etat de la violence engage un mouvement d'autonomisation des normes, de prise en charge des individus par eux-mêmes. Cette étude des processus de civilisation est d'emblée et
constamment installée dans une dimension comparative. Dans La dynamique de l'Occident, Elias ne cesse de formuler des comparaisons entre pays et strates sociales des sociétés européennes occidentales, par exemple au travers de ses Remarques sur quelques différences entre les évolutions en Angleterre, en France et en Allemagne.
Il s'interroge sur les causes et les modalités des rapports qui lient la structure des fonctions psychiques, les normes du contrôle des comportements particulières à chaque époque, aux structures des fonctions sociales, aux transformations des interrelations humaines. En associant à la notion de civilisation non la célébration d'un modèle culturel ou d'une sorte de foyer national, mais des indicateurs objectifs relatifs à la structure des réseaux d'interdépendance sociale, à la curialisation des guerriers, à la construction de dispositions qui refoulent la violence ou rendent sa présence inconfortable, le modèle ouvre d'ailleurs la possibilité de faire échapper un questionnement sur cette notion à sa malédiction anthropocentrique.
La société que nous appelons la société moderne est caractérisée, surtout en Europe occidentale, par un
niveau bien déterminé de la monopolisation. Deux monopoles jouent un rôle clé : le monopole militaire et policier et le monopole fiscal. La caractéristique des sociétés fondées sur une division très poussée des fonctions est l'existence d'un appareil administratif permanent et spécialisé chargé de la gestion de ces monopoles. C'est à la suite de la formation progressive de ce monopole permanent du pouvoir central et d'un appareil de domination spécialisé que les unités de domination prennent le caractère d'Etats. Quel rapport peut-on déceler entre l'organisation de la société en Etat, entre la monopolisation et la centralisation des contributions et de l'emploi de la force d'une part, et la civilisation de l'autre ?
[...] La répartition elle-même cesse d'être une affaire relativement privée pour devenir une fonction publique. Le droit de disposer du monopole, d'occuper les positions clefs s'acquiert par une compétition soumise au contrôle du monopole et réglée par l'administration monopoliste. C'est la naissance d'un régime démocratique La répartition des profits du monopole s'opère selon un plan orienté non pas en fonction des intérêts de quelquesuns, mais en fonction des exigences du processus de la division du travail et de la coopération optimale de tous les individus entre lesquels la répartition des fonctions a tissé des liens. [...]
[...] On a affaire à un mouvement général vers la civilisation. Puis on assiste à la prise en charge des monopoles de domination par la bourgeoisie. Le but de la lutte de ses membres n'est pas la redistribution des monopoles existants mais une nouvelle distribution des charges et des bénéfices. La centralisation et la monopolisation rendent possible une utilisation planifiée de chances qui, naguère, étaient à la seule portée de ceux qui pouvaient s'en emparer par la violence militaire ou économique. [...]
[...] Une société de guerriers caractérisée par une compétition relativement libre (XIe-XIIIe siècles) s'est transformée en une société où la concurrence est soumise à une réglementation d'allure monopoliste. Mais la formation du monopole de domination ne s'opère nullement en ligne droite. Se précise une nouvelle tendance à la décentralisation, dont les facteurs les plus importants sont les proches parents du pouvoir central. En effet, augmente, avec l'expansion du territoire soumis à la domination des Capétiens, l'étendue des terres données en apanage aux enfants des rois. On assiste, avec la phase des apanages (XIVe-XVe siècles), à une poussée de désintégration. [...]
[...] La théorie des procès de civilisation constitue le cœur des travaux produits par Elias jusqu'aux années quarante. Il y souligne le rôle clé joué par la construction graduelle d'un appareil d'Etat capable de se doter d'un double monopole du prélèvement fiscal et de la violence légitime. Si la parenté wébérienne est évidente, la singularité d'Elias vient de ce qu'il déplace le regard : le monopole de la violence légitime est certes un outil de domination, mais il est aussi un instrument de pacification des rapports sociaux. [...]
[...] A la suite d'une longue série de combats d'élimination, d'une lente centralisation des moyens de contrainte physique et des impôts, s'inscrivant dans la lignée d'une division progressive des fonctions et de la montée de la bourgeoisie professionnelle, la société française accède par étapes à cette structure sociologique qu'on appelle un Etat Pour comprendre le processus de civilisation, il faut procéder à l'examen simultané du changement des structures psychiques et des structures sociales dans leur ensemble Deuxième partie : Esquisse d'une théorie de la civilisation : Le processus de la civilisation consiste en une modification de la sensibilité et du comportement humains dans un sens bien déterminé. Certaines contraintes exercées de différents côtés se transforment en autocontraintes, certains actes humains sont peu à peu relégués derrière les décors de la vie sociale et investis d'un sentiment de pudeur, la vie pulsionnelle et affective prend peu à peu, grâce à un autocontrôle permanent, un caractère plus général, plus uni, plus stable. C'est l'ordre de l'interdépendance entre les hommes qui est à la base du processus de civilisation. [...]
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