Ouvrage de jeunesse publié en 1985 dans la collection « Recherches politiques », « Le droit sans l'Etat » répond selon les mots de son auteur à un double objectif.
Premièrement, il s'agit pour Laurent Cohen-Tanugi de réaliser une analyse comparative du système américain et du système français afin de mettre en évidence deux rapports au droit très différents ayant de nombreuses conséquences (le droit sans l'Etat pour les Etats-Unis, le droit dans l'Etat pour la France), aussi bien sur la conception de la démocratie que sur la capacité du pays à s'adapter aux nouvelles données internationales.
Dans le même temps, il s'agit également d'un « projet militant » ayant pour but de promouvoir un changement dans le mode de régulation en France, passant d'une régulation étatique centralisée à l'autorégulation et à l'avènement de la société contractuelle via « l'introduction réfléchie de certains aspects positifs » du modèle américain.
Comme Tocqueville, dont il s'inspire et se veut l'héritier (Stanley Hoffman qualifiant même cet ouvrage de « plus tocquevillien des ouvrages écrits sur les Etats-Unis depuis Tocqueville »), l'auteur connaît particulièrement bien l'Amérique qu'il décrit. En effet, après être passé par l'Ecole Normale Supérieure (il est agrégé de lettres modernes en 1979), l'Institut d'études politiques de Paris (1980) et l'Université de Paris I dont il sort diplômé d'un DEA en droit anglo-américain des affaires et d'une maitrise en droit des affaires internationales, Laurent Cohen-Tanugi poursuit sa scolarité à la faculté de droit de Harvard où il obtient un Master of Laws. Débutant sa carrière aux Etats-Unis « dans les grands cabinets juridiques internationaux de Wall Street et les bureaucraties washingtoniennes », il est d'emblée séduit par le système américain et décide ainsi, en tirant parti de sa double culture, de comparer celui-ci au système français.
[...] La transparence est ainsi une exigence aux Etats-Unis. À l'inverse, la France est atteinte par le culte du secret. Alors que l'Etat possède via les Renseignements Généraux de nombreux atouts pour espionner la société civile, celle-ci ne dispose que de moyens très réduits pour contrôler l'activité étatique. Pour couronner le tout, l'indépendance des médias est sans cesse remise en cause même si des progrès ont été faits ces dernières années. On a donc bien une opposition nette entre la pratique de la démocratie aux Etats-Unis et en France, l'auteur appelant nettement à une réforme de ce côté de l'Atlantique. [...]
[...] De plus, la passivité des citoyens français contraste avec l'activisme en vigueur aux Etats-Unis où les citoyens pratiquent chaque jour la micropolitique. Aux Etats-Unis, le candidat n'est pas élu sur un programme global de changement de la société, mais sur des questions précises comme l'augmentation des impôts. La démocratie s'y exerce donc au quotidien par tous, notamment par le lobbying comme nous le verrons plus en détail tout à l'heure, celui-ci constituant ainsi une représentation privée faisant concurrence à la représentation politique. [...]
[...] Cette différence est particulièrement visible au niveau du contrôle de constitutionnalité. En effet, celui-ci ne peut se faire qu'avant la promulgation de la loi en France et les citoyens ne peuvent saisir le Conseil Constitutionnel, lui-même étant bien souvent contraint à l'autocensure par la tradition française voulant que vous ayez juridiquement tort, car vous êtes politiquement minoritaire Une fois promulguée, la loi est donc inattaquable. À l'inverse, aux Etats-Unis, la loi est l'incarnation du droit et non de la volonté générale. [...]
[...] La micropolitique se caractérisant par des attitudes uniquement réactives et portant sur des enjeux spécifiques on a alors en cas de trop grande dévalorisation de la dimension électorale une dissolution du sentiment d'appartenance à un monde commun. De plus, le populisme, vampirisation totale de l'activité politique par la contre-démocratie entraine avec la dissolution évoquée précédemment une stigmatisation automatique des acteurs politiques qui renoncent ou perdent tout pouvoir d'action. On pourrait également rajouter que la participation à ces contre-pouvoirs est très inégalement répartie socialement : les plus riches et les plus scolarisés sont ainsi en grande majorité ceux qui participent à cette contre-démocratie (voit M.Elchardus, La démocratie mise en scène En cas de prédominance de la contre-démocratie on a donc un double risque de césure : césure entre le politique et le citoyen, d'abord, mais aussi entre la société civile et la partie du corps électoral qui ne peut pas participer à cette contre-démocratie, entrainant cette fois-ci une dépolitisation. [...]
[...] Cette pratique se traduit en pratique par un nombre impressionnant de procès. Comme nous l'avons déjà expliqué, il constitue un instrument majeur pour la démocratie notamment pour protéger les minorités et la société civile de l'Etat. De plus, il a l'avantage, contrairement au lobbying, de garantir une égalité d'accès à tous les citoyens américains. La possibilité de mettre en place une action collective est également capitale pour la défense et la conquête de nouveaux droits. De plus, cette pratique du contentieux judiciaire incite fortement au professionnalisme et à la responsabilité. [...]
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