Aujourd'hui la diversité est un enjeu majeur du débat politique ; un enjeu qui n'est néanmoins pas à la source de clivages puisqu'à l'exception de l'extrême droite, l'appel à plus de diversité est unanime dans la classe politique, et plus généralement au sein de la société. Cette unanimité représente un changement. Ainsi, si auparavant c'est la lutte contre les inégalités sociales qui constituait le centre des revendications à gauche, ce n'est plus le cas depuis le tournant libéral de 1983 qui a fait disparaître la lutte contre l'injustice sociale au profit d'une lutte, « néolibérale » et moins contraignante à mener, en faveur de la diversité.
En effet, à l'inverse de la lutte pour la justice sociale qui nécessite une remise en cause de la société capitaliste, la lutte pour la diversité est neutre quant à l'organisation économique de la société. C'est la raison pour laquelle la diversité, dans la mesure où elle occupe les esprits et les débats de manière disproportionnée (à l'image du débat sur le port du voile islamique à l'école, totalement anecdotique face aux vrais problèmes, et qui a occupé une place démesurée dans les médias), contribue à ce que le débat sur les inégalités économiques n'ait pas lieu et que le néolibéralisme ne soit pas remis en cause.
En France comme aux États-Unis, la « vraie gauche » a disparu, et tous les partis politiques même ceux se revendiquant de la gauche sont en réalité de droite. D'une manière générale, l'économique n'a plus vraiment sa place dans l'action politique ; alors qu'auparavant les pauvres étaient identifiés comme des gens ayant moins d'argent que les riches, ils sont désormais identifiés comme une représentation culturelle. Et dans un contexte de relativisation des cultures et d'un refus de toute hiérarchisation, la richesse et la pauvreté (au sens culturel) deviennent des conditions sociales différentes, l'une n'étant aucunement supérieure à l'autre. Dès lors que la pauvreté devient une culture parmi d'autres, ayant droit au même respect que les autres, il est vain de prétendre la combattre et l'éliminer (bien au contraire). La diversité en tant qu'objectif politique, parce qu'elle nous détourne de la lutte pour l'égalité économique, doit donc avant tout être considérée comme un outil aux mains d'une élite, qu'elle utilise dans le but de renforcer sa domination sur la société.
[...] Peut-on vraiment soutenir que la gauche d'après 1983 a renoncé à l'égalité et qu'elle est désormais un agent du néolibéralisme déterminé à faire croire en une société égalitaire en promouvant la diversité ? De toute évidence la situation est plus complexe. Néanmoins cet ouvrage doit être pris pour ce qu'il est : un ouvrage polémique, volontairement provocateur, mais qui a quand le mérite d'identifier une tendance peut-être exagérée mais réelle, et qui pose des questions pertinentes. La multiplication des questions d'identité, et surtout leur substitution aux questions de justice sociale sont-elles directement liées au néolibéralisme comme l'affirme l'ouvrage ? Cette interprétation est en tout cas assez convaincante. [...]
[...] Walter Benn Michaels n'y répond pas vraiment. En admettant qu'il soit possible de rendre le système scolaire américain tel que le milieu social ne joue absolument aucun rôle sur les résultats scolaires, dans un tel système ce sont les enfants dont les capacités innées sont les plus fortes qui vont à Harvard indépendamment du milieu dont ils sont issus, mais le méritent-ils ? C'est sûrement dans ce sens qu'il faudrait aller, mais cela pose la question de la hiérarchisation des inégalités et des injustices qui y sont associées. [...]
[...] Or c'est à ce genre de problèmes qu'il faut réfléchir. L'existence d'un Impôt de Solidarité sur la Fortune par exemple présente l'avantage incontestable de favoriser une convergence des richesses vers la moyenne, ce qui rend la société plus égalitaire. Mais dans le même temps il provoque le départ des plus fortunés à l'étranger, ce qui détourne des investissements et représente un manque à gagner en impôt sur le revenu très supérieur aux sommes récoltées grâce à l'ISF, ce qui signifie moins de dépenses gouvernementales possibles, et donc moins de services publics, d'une certaine manière. [...]
[...] A trop se focaliser sur l'économie et à tout interpréter par rapport aux faits économiques, on en oublie qu'il existe quelque chose d'autonome aux côtés de l'économie. Il y a une dimension un peu paranoïaque dans le fait de voir dans le néolibéralisme une cause unique des revendications identitaires. L'auteur va peut-être un peu vite à voir dans une simple corrélation une causalité. En outre il a tort de ne pas voir dans les discriminations basées sur des critères identitaires un problème grave en soi. [...]
[...] Par ailleurs on ne comprend pas exactement ce que l'auteur entend par le terme de néolibéralisme. Est-ce un synonyme de libéralisme économique ou bien entend-il par là libéralisme dérégulateur à opposer à un libéralisme régulé ? Peut-être y a-t-il un problème de traduction mais cette imprécision dans le vocabulaire employé, cette absence de définition précise du concept, révèle un manque de nuance. En outre on ne voit jamais apparaître le concept de mondialisation, peut-être parce que le terme de mondialisation connote l'idée d'inéluctabilité, alors que parler de néolibéralisme laisse penser que c'est une politique choisie délibérément par un gouvernement, ce qui n'est pas entièrement le cas dans la réalité. [...]
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