Dans son livre « Face à l'insécurité : refaire la cité », Didier Peyrat expose sa réflexion sur l'insécurité contemporaine. Face aux positions sécuritaires – le « tout-répressif » – et « sécuriphobe » – le « rien-répressif » –, il tente de réhabiliter une position morale responsabilisant le sujet. Deux problèmes successifs sont abordés: la caractérisation du phénomène de l'insécurité, puis l'élaboration d'une réponse morale.
Contre les « idéologies » « catastrophiste » et « dénégationniste » qui caricaturent ou nient le phénomène, il faut mettre en évidence la brutalisation de notre société depuis trente ans: les chiffres le montrent, la délinquance a augmenté. C'est une délinquance plus jeune, massivement contre autrui et marginalement anti-institutionnelle.
La délinquance n'est donc pas le résultat de sa confrontation avec la police, mais avec la société. Cette délinquance remet en cause le vivre-ensemble. Son caractère antisocial est manifeste, quoiqu'en dise « l'angélisme mystificateur » de « l'ultra-gauche ». Que l'on se réfère pour cela aux « casseurs » dans les manifestations ces dernières années. Il ne s'agit pas d'un problème entre l'Etat et les gens; la sociabilité de base entre individus elle-même est perturbée. Ce « dérèglement des arts de vivre en commun » est le résultat de trois évolutions: « mutations de l'individu, émergences des villes géantes, expansion de la mondialisation ». Le monde commun, s'il existe toujours, est perdu de vue par les « sauvageons ».
[...] Cependant, si cette procédure aide la victime a posteriori, on peut rester sceptique quant à sa capacité à résoudre le problème de la délinquance. Là où Frédéric Gros trouvait une manière de reconstituer la victime comme sujet, Didier Peyrat introduit une moralisation du délinquant. Cela n'est pas vraiment nouveau : Foucault décrit comment la prison a voulu, dès ses débuts, rééduquer, moraliser pour réinsérer. Qu'une théorie jusnaturaliste réclame la nécessité de la moralisation, cela pose bien sûr le problème de la normalisation. On risque de retrouver l'affrontement inégal de discours dominants et dominés. [...]
[...] Strictement parlant, celui qui vole ou tue pour survivre fait acte de volonté et donc choisit. Et inversement celui qui choisit actualise des déterminants objectifs. Il n'y a pas d'opposition entre déterminisme et choix, qui se situent sur deux plans différents. Si l'on veut prendre en considération le droit, plutôt donc que de trancher la question de la part de liberté et de déterminisme - à supposer que cela ait en un sens - ; on peut proposer l'hypothèse qu'il y a ici confusion entre deux logiques théoriques différentes : pour la sociologie qui tente d'expliquer[3], la liberté individuelle comme choix indéterminé n'est jamais que ce qui vient combler a posteriori une incapacité à répondre, alors qu'à l'inverse le droit pénal comme la morale d'ailleurs s'adressent a priori à la responsabilité individuelle. [...]
[...] Simplement il ne se pose plus comme tel. On peut en revanche reconnaître la reprise d'un problème non évoqué jusqu'ici, à savoir la place de la victime dans le système judiciaire. Il est effectivement judicieux de constater que la gestion de la peine a longtemps été l'oubli de la victime, qui n'avait pas à intervenir dans le face à face entre le criminel et l'Etat. Pour Peyrat, la question de la victime est indissociable de celle de la responsabilité de l'individu délinquant - discutée jusqu'ici car c'est la nature de cette responsabilité qui permet à la victime de rentrer dans le système judiciaire. [...]
[...] Didier Peyrat prend ces supposées lois indiscutables pour une évidence telle qu'il n'est nul besoin de les fonder ni ne les lister. Il y aurait un sens commun sur lequel les gens de bonne foi s'accorderaient et qu'il faudrait accepter comme principe indiscutable. Ces affirmations n'ont sûrement pas l'évidence qu'on leur prête. La question de l'universalité des valeurs est amplement débattue, et l'on peut très bien soutenir qu'elle n'existe pas. En effet, ce que nous rencontrons, ce ne sont jamais que des pratiques toujours déjà investies de sens socialement et historiquement situés, et on ne voit pas vraiment ce qui autorise à supposer pour les valeurs un au-delà du social, supposition difficilement falsifiable et donc non scientifique pour s'en tenir au critère de Karl Popper. [...]
[...] Et quand bien même il ne s'attaque qu'aux déterminants économiques, le raisonnement est faux, puisqu'il oublie la distinction pauvreté relative et pauvreté absolue quand il démontre qu'une plus grande pauvreté n'est pas corrélée à une plus grande criminalité. A se choisir des adversaires faibles et largement imaginaires, la réflexion polémique de Didier Peyrat triomphe sans gloire. C'est qu'au-delà des imprécisions sur la sociologie, le problème de fond a été mal posé. L'insécurité n'est pas un problème qu'il faut résoudre en droit, mais en fait ; et remettre aux responsabilités individuelles la résolution du problème, ce n'est –logiquement parlant- rien d'autre que renoncer d'intervenir politiquement. [...]
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