Thibaudet le précise dans l'introduction de son article, et il le répète à la fin : il ne s'agit pas de s'interroger sur l'avenir de l'Europe, pas plus qu'il ne convient d'en donner une définition figée. Au contraire, pour rendre compte de la mouvance de tout ce que recouvre le terme d' « Europe », Thibaudet choisit de se pencher plus précisément sur le « genre de vie européen », afin d'en étudier les principaux caractères. Cet article constitue donc une tentative de définition à la fois de ce que l'Europe a cherché à développer et de ce qu'elle a réussi à établir : c'est une conception dynamique, dont on trouve des illustrations tout au long du texte ; il n'est pas question de décrire l'Europe à un moment donné de son histoire, mais bien de prendre en compte ses intentions, ses tentatives, au même titre que ses réalisations.
La définition de Thibaudet est conçue en trois niveaux, qui correspondent à trois échelles, étudiées successivement. La cellule de base en serait la nation, premier caractère développé par Thibaudet. Au-dessus de la nation, on trouve la société de nations ; en dessous de la nation, les caractères politiques, économiques et techniques. Enfin, en dehors de ces trois échelons qui englobent l'ensemble du monde matériel, Thibaudet étudie le rapport de l'Europe à deux dimensions plus abstraites, qui sont celles de la durée et celle, plus spirituelle encore, de la religion.
[...] C'est une fois de plus une vision dynamique de l'Europe, qui cherche à laisser des portes ouvertes vers l'avenir, au lieu de la cloisonner dans une description fidèle et définitive. L'économie ensuite : selon Thibaudet, le développement de la démocratie en Europe s'est accompagné de l'adoption de l'économie capitaliste, une expérience sans précédent. Thibaudet insiste sur la perception du capitalisme comme primat indéfini des valeurs de crédit, c'est-à-dire de mouvement qui permet d'expliquer la difficulté rencontrée par l'Europe lorsqu'il s'agit de penser ce système capitaliste ; effectivement, on peut considérer que cette invention révolutionne la compréhension de la fonction de production et qu'elle crée en Europe des conflits sans précédent. [...]
[...] Il ne faut pas oublier que l'article de Thibaudet est publié en 1925, c'est-à-dire il y a quatre-vingts ans. Depuis, notre définition de l'Europe a sans doute évolué : ce qui n'était en 1925 qu'un idéal dans lequel certains plaçaient beaucoup d'espoirs, mais qui n'avait pas encore pris forme, est devenu l'Union européenne ; autour d'un noyau de six pays s'est constituée une union qui compte aujourd'hui vingt-cinq membres, et qui envisage d'accroître son pouvoir et son efficacité en se donnant une constitution. [...]
[...] Les techniques enfin ; ce caractère permet à Thibaudet d'aborder le dernier domaine lié à l'organisation du monde matériel et par lequel le genre de vie européen se distingue des autres. A l'en croire, la maîtrise de la technique est un élément primordial dans la définition de l'Europe, dans la mesure où les Européens se considèrent eux-mêmes comme possesseurs de celle-ci, bien que, non sans une certaine hypocrisie, à moins que cela ne soit de la naïveté, ils pensent l'utiliser comme un moyen et non comme un but Ce facteur est sans aucun doute vérifié par le mouvement, d'origine européenne, de la révolution industrielle au XIX° siècle, dont on peut affirmer qu'il a contribué au développement des pays d'Europe occidentale, et, par delà les considérations nationales, qu'il a institué un nouveau rapport de forces entre les Etats. [...]
[...] Il n'y a donc pas de religion européenne. Cependant, et Thibaudet le reconnaît, il est difficile de dissocier le genre de vie européen du christianisme ; bien que celui-ci soit né en Judée, il a connu une expansion précoce et durable en Europe ; encore aujourd'hui, en dépit de la multiplication des confessions, cela reste la religion dominante. Par ailleurs, il nous semble impossible de comprendre véritablement l'Europe sans se référer au christianisme, dont l'empreinte se retrouve partout, en particulier dans la culture qui s'est développée sur le continent : que ce soit l'histoire, la philosophie, l'art ou encore la politique, les références à la religion chrétienne sont innombrables et leur influence, déterminante. [...]
[...] Pour une définition de l'Europe, de A. Thibaudet Albert Thibaudet, critique littéraire français, publie en septembre 1925 dans la Revue de Genève un article intitulé Pour une définition de l'Europe La Revue de Genève, fondée le 16 mai 1920 par Robert de Traz, au lendemain de la création de la Société des Nations (SDN) et de l'adhésion de la Suisse à cette organisation, se veut en effet à la fois une revue littéraire et une tribune pour les débats internationaux. [...]
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