Paul Hazard, dans La crise de la conscience européenne, développe la thèse selon laquelle les caractéristiques de la pensée moderne, contemporaine, trouvent leurs origines au XVIIè puis au XVIIIè siècle. La pensée européenne semble résulter d'un mouvement. En effet, Hazard nous offre une étude presque physique, physiologique de ces deux siècles, en abordant notamment la question du mouvement, c'est-à-dire une sorte de mécanique interne qui fait que XVIIè siècle et XVIIIè sont liés intrinsèquement l'un à l'autre d'une part, et sont en relation directe avec notre monde actuel d'autre part. Pour Paul Hazard, il existe une véritable continuité, un héritage des idées.
Il cite ainsi Diderot lorsque celui-ci affirme « nous avons eu des contemporains sous le règne de Louis XIV ». Néanmoins, ces deux siècles sont marqués par une rupture avec ce qui les précédait. Les penseurs de ces deux siècles semblent effectivement s'être attachés à déconstruire ce qui avait été établi avant eux, à établir un « reclassement des valeurs », puis à reconstruire de nouvelles fondations de la pensée, sur lesquelles le monde contemporain s'appuie encore. Le terme « crise » qui apparaît dans le titre de l'ouvrage serait dès lors à considérer dans son acception première, c'est-à-dire « changement », les érudits s'étant attelés à une réforme de la pensée.
[...] Il est important, en premier lieu, de rappeler les caractéristiques du Grand Siècle et du Siècle des Lumières tels que Paul Hazard les décrit, puis d'évoquer, en second lieu, les paradoxes soulevés par l'auteur. Paul Hazard semble tout d'abord définir ces deux siècles en filigrane, en négatif, c'est-à-dire en montrant ce qu'ils ne sont pas, ce qu'il récusent ou rejettent, à savoir l'ordre établi, l'autorité, l'absolutisme, le droit divin, la métaphysique, le dogmatisme, le mysticisme, la stabilité, le conformisme, la superstition . Il montre ensuite en quoi la pensée a été révolutionnée au fil de ces deux cents ans. [...]
[...] La morale est par ailleurs à l'origine d'une vertu chère à la pensée moderne, la tolérance, en ce qu'il créé une union des Hommes dans la volonté de faire le bien Elle a donc, en ce sens, une utilité sociale, sans pourtant avoir à faire avec le religieux. Tels sont les traits caractéristiques explicités par Paul Hazard en ce qui concerne ces deux siècles de renouveau culturel. Néanmoins, force est de constater qu'il se montre lui aussi critique à l'égard des penseurs de l'époque, en soulevant notamment quelques ambiguïtés ou paradoxes. Paul Hazard s'attache ainsi à montrer que des paradoxes existent entre la pensée théorique du Grand Siècle et du Siècle des Lumières et la réalité. [...]
[...] Il aborde l'apparition de la notion de droit naturel, d'une philosophie qui récuse le surnaturel, le divin, au profit d'un ordre universel dans lequel l'Homme vit et se construit. L'individu, doté d'un droit politique peut alors seul diriger son destin. Il peut dès lors trouver sa morale, autre thème important. Cette morale, pour les penseurs du XVIIè et XVIIIè siècle, est avant tout sociale, psychologique et raisonnée. L'Homme recherche toujours ce qui lui est agréable, bon pour lui, et il est dès lors susceptible d'atteindre le bonheur. [...]
[...] En outre, Hazard montre que la religion se défend et perdure, car si les Lumières, en particulier, ont aboli l'idée d'un Dieu tout-puissant, elles n'ont pas aboli le problème religieux : l'emblème a disparu, mais l'aspiration demeure Enfin, l'idée que le XVIIè et le XVIIIè siècle ont détruit tout dogmatisme est à nuancer, selon Paul Hazard. En effet, si les penseurs ont réussi à déconstruire un ordre établi, ils n'en n'ont pas moins établi un autre. Toland est à ce propos le parangon du rationnel qui remet en cause les vérités de son temps mais qui finit par croire qu'il possède la vérité en lui. [...]
[...] Les combats qui ont résulté de la négation du caractère divin des comètes, des oracles et des sorciers prouvent bien qu'il n'est pas facile de dénoncer les erreurs, démasquer les mensonges car en attaquant la superstition, on attaque la croyance elle-même Cela vaut aussi pour Richard Simon qui, en interprétant les textes Saints avec un regard critique, s'est attiré les foudres de nombre de ses contemporains qui préféraient la douceur de croire rassurante. La place du religieux occupe à ce propos une place importante dans l'ouvrage de Paul Hazard. Il y évoque les athées, les déistes hostiles aux religions révélées, ou encore les défenseurs de la religion tels Bossuet. [...]
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